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siège et de campagne. J’avais espéré une fête plus complète en venant achever mes courses à Azy ; c’eût été trop de bonheur a à la fois de vous revoir en même temps que mon père et ma mère : et je crois que le bon Dieu veut me partager et me ménager les récompenses.

Sans cela je n’aurais rien compris à la lenteur des autorités suisses et françaises. Je sais bien que la liquidation de notre grande armée tombée en Suisse et internée sans ordre, n’était pas commode, mais certes nos chefs pataugent royalement.

J’ai été bien fier, mais pas du tout surpris du succès et de la belle conduite de grand père. Ce n’est pas en France seulement qu’il a des amis. A Genève, on le plaignait de l’horrible corvée qu’il a si généreusement acceptée pour obtenir une paix nécessaire [1] ; et l’on ne se trompait pas du tout aux déclamations des égoïstes, qui ont cru s’honorer en tapageant pour la « résistance à outrance ; » tandis qu’ils se rassuraient tout bas sur le bon sens et la bonne foi de leurs adversaires plus nombreux, et comptaient si évidemment sur la paix.

J’ai vu là-bas beaucoup de protestants : toute la haute société est protestante. Ils sont aimables et très honnêtes, mais je crois un peu méticuleux, surtout quand ils nous jugent. On ne croirait pas où ils cherchent leur supériorité ; je m’amusais souvent à les faire causer là-dessus, et voici ce que j’ai obtenu de plus clair. « Chez vous, me dit une bonne vieille dame, l’esprit de vérité s’en va. — Oh, répondis-je, c’est bien grave, mais comment cela ? — Les dames françaises souffrent que leurs domestiques disent qu’elles n’y sont pas quand elles y sont ; chez nous, on dit : Madame y est, mais elle ne veut pas recevoir. »

Et voilà une des causes qui perdent la France. Quel dommage que notre Empereur n’ait pas fait tenir au roi Guillaume le franc langage de ma vieille dame : « Monsieur y est, mais il ne veut pas vous recevoir. » Il est vrai que l’indiscret sauvage eût peut-être forcé la porte.

Je ne vous dis pas mes aventures, ma bonne grand-mère ; René vous aura sans doute raconté notre lugubre campagne. J’aime mieux n’y plus penser, car ce souvenir me reste comme

  1. Le comte Benoist d’Azy, vice-président de l’Assemblée nationale, fit partie de la commission des 15 qui accompagna M. Thiers à Versailles pour y suivre les négociations de paix.