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Je désire la paix, je te l’avoue, et de tout mon cœur, car je ne crois pas qu’on puisse rien espérer de la guerre. Pardonne-moi de t’entretenir de ces détails ; tu penserais peut-être que je ne vois pas les choses en grand, mais les détails frappent surtout sur les lieux ; et ils sont bien saisissants.

Adieu, je supplie Dieu de pouvoir te dire : à bientôt.


Ornans (Doubs), 14 janvier 1871.

Mon bon grand père,

Je viens d’assister enfin à de bien beaux et glorieux spectacles : deux victoires, à Villersexel et à Arcey, nous font oublier aujourd’hui de bien longs malheurs : Dieu m’a fait cette grâce, de ne voir les Prussiens qu’en fuite.

Hier surtout, la bataille a été courte et superbe. Par un temps radieux, éblouissant de neige et de soleil, l’Etat-major a gravi un mamelon sur lequel notre artillerie était en batterie et tonnait déjà à ravir. On laissa l’escorte, les chevaux et tous les officiers en arrière des canons ; puis le général s’avança seul, suivi de son aide de camp et moi. On évite en pareil cas de se grouper pour ne pas servir de cible aux obus ennemis. Nous passâmes devant l’artillerie et nous descendîmes environ 500 mètres du versant opposé de la colline. Là les boulets nous passaient par dessus la tête, et coupaient l’air en sifflant comme des fusées. Ils allaient s’abattre à plus de deux kilomètres sur le village d’Arcey, autour duquel on apercevait les batteries prussiennes, presque imperceptibles à l’œil nu, et répondant faiblement. Devant nous, de longs cordons de tirailleurs s’avançaient sans broncher, convergeant vers le village, et engageant de loin en loin de vives fusillades. A leur approche, nous vîmes tout à coup les Prussiens en colonnes serrées s’élancer hors de leurs retranchements, et s’enfuir pêle-mêle vers les bois voisins. En un instant ils allaient nous échapper ; mais le général saisit cet instant favorable, lise retourna aussitôt, et, commandant la manœuvre comme un simple capitaine, cria d’une voix éclatante : « Pièces, en avant ! » Aussitôt, les canons rattelés descendaient la pente au galop de charge, nous dépassaient, puis s’arrêtaient court, pointaient derrière le village et achevaient la déroute à la confusion des Prussiens.

Voilà ce que j’ai vu de ce combat simple, court et beau, qui nous ouvre la route de Belfort. Demain, sans doute, nous nous