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Octobre 1870,

Cher père,

Décidément je pars avec le général Bourbaki. Je suis maréchai des logis et porte-fanion. J’avais hésité à cause des amis que je laisse, Bonnières par exemple, qui s’était engagé pour moi. Mais Mme Fourichon me presse d’accepter, M. Lavedan me le conseille aussi : j’accepte donc. Il est certain que c’est un très bel avancement et un poste de confiance près d’un fort brave homme. Je partirai pour Lille demain sans doute, ou après-demain.


Au comte Benoist d’Azy.


Lille, 1er novembre 1870.

Mon bon grand père,

... Combien la fête de tous les saints est lugubre après tant d’affreuses nouvelles, et surtout après la capitulation si inattendue de Metz ! Je suis bien impatient de savoir ce que vous pensez de ce dernier malheur. La plupart des Lillois appellent le maréchal Bazaine un traître : nos officiers d’État-major en font un héros ; je ne sais que penser, surtout quand je songe que le vaillant Changarnier était à Metz et qu’il n’eût pas permis une lâcheté. Quoi qu’il en soit, ces désastres passent la raison, et on n’aperçoit point de porte de salut pour la pauvre France, si saint Denys et saint Louis, ses nobles patrons, n’ont point aujourd’hui invoqué Dieu pour elle.

Notre général prépare et forme ici une armée de marche : je suis malade d’impatience en attendant qu’il ait fini. Peut-être serons-nous partis dimanche prochain : Dieu le veuille ! On m’a déjà donné un cheval : c’est une immense bête, qui a été montée par un uhlan.


Tours, 23 novembre 1870,

Mon cher grand père,

Me voici revenu à Tours avec mon général ; et j’y arrivais avec l’espérance de continuer incessamment jusqu’à Nevers. Quelle joie, si ç’avait été vrai ! Mais le général refuse le commandement de l’armée de Nevers ; au moins je le crains bien, et hier il paraissait décidé. Il est indigné de la façon légère dont M. Gambetta le traite, avec des ordres et des contre-ordres incessants et inexpliqués. S’il se retire, j’irai sans doute