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MINISTERE DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Cabinet du Ministre [1]


Tours, lundi, 1870.


Chers bons parents,

J’espère que M. Revillod arrivera à Paris pour vous donner mon petit mot. Je suis dans la joie parce que je sais que vous allez tous bien, parce que mon escadron s’est enfin mis en marche, et parce que je vous écris de chez Mme Fourichon, qui est pour moi d’une bonté sans égale.

J’ai tant de choses à vous dire que je ne sais par où prendre : je commence par les faits, car ma lettre jusqu’ici est un logogriphe. Je suis parti de Vienne samedi matin en chemin de fer, et arrivé à Poitiers aujourd’hui lundi à midi. J’avais à peine dessellé mon cheval qu’on m’appelle à la sous-intendance, puis au café des officiers : j’y trouve mon nouveau colonel nommé Basserie, qui me dit que le ministre de la Guerre me fait demander. Étonnement général parmi les camarades. Je vais au chemin de fer. En route, je trouve mon capitaine commandant, M. Berthier de Lasalle, qui me supplie de ne pas me laisser garder à Tours, disant qu’il tient à moi, que je suis un garçon d’avenir et cent choses aimables. Je pars et je trouve ici Mme Fourichon, qui m’offre d’être porte-fanion du général Bourbaki. J’ai refusé, parce que je commence à aimer beaucoup mon escadron, mes camarades et mon cheval. D’ailleurs, Mme Fourichon me fait nommer brigadier. Ce soir je dîne ici avec des généraux : c’est bien beau, même pour un brigadier.

Je vous dirai maintenant comme tous les conscrits, que je me porte à merveille. J’ai couché depuis deux nuits dans des wagons de marchandises ouverts à tous les vents : j’ai eu un froid de chien, mais pas le plus petit rhume.

Quelle joie d’avoir eu de vos nouvelles ! Quelle joie de partir enfin ! Je suis bien heureux. Je vous embrasse tous de tout mon cœur et je veux tâcher de me conduire aussi bien que vous le faites à Paris.

  1. Denys Cochin a quitté Vienne, et, à Tours, il a été accueilli par l’amiral Fourichon, ancien ami de son père. M. Revillod fut un des premiers aéronautes qui soit sorti de Paris, mais qui n’y rentra pas.