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A Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans.


Vienne, dimanche 3 septembre 1870.

Monseigneur,

Permettez à un humble conscrit de vous remercier du grand honneur que vous lui avez fait. Vous m’avez écrit le jour de ma première communion ; et vous m’écrivez encore le jour de mon engagement. Je suis bien fier et bien ému d’avoir été béni par vous dans ces deux grands jours de ma vie. Dieu m’a fait alors chrétien, et je ne doute pas de le rester. Aujourd’hui, Dieu m’apprend à aimer mon pays. Je sais, Monseigneur, que ces deux grands amours de la Foi et de la Patrie, encore bien étroits et bien incomplets dans mon âme, ont été la lumière de votre belle vie. Aussi je me réjouis de voir mes faibles efforts encouragés par vous.

Cependant Dieu n’a pas exaucé mes prières. Le bouleversement de l’Etat a retardé notre départ ; nos officiers ne reçoivent point d’ordres et j’ai bien peur de voir finir honteusement cette guerre, sans aller au feu. J’espère que Dieu épargnera cet outrage à ma conscience de soldat ; je l’en supplie tous les jours ; et je ne crains pas, Monseigneur, sachant votre bonté, de vous demander aussi vos prières pour moi.


Vienne, 6 septembre 1870.

Cher père,

Je reviens de l’exercice et je n’ai qu’à peine le temps de vous dire un mot avant cinq heures. Ne craignez rien pour moi. Je vais très bien et j’ai bon courage. La ville est calme, quoique ornée d’une affreuse idole de la Liberté en bonnet de coton rouge et d’un manche à balai qu’ils appellent arbre. Voilà le paganisme stupide qui dégoûte de la République. On parle des Droits de l’homme, et on joue à la poupée.

Je me raidis parce que vous me le dites ; mais avouez qu’il sera cruel de brosser à Vienne un cheval pacifique, vendredi prochain, quand les Prussiens seront autour de Paris. Le major, s’il a du cœur, ne peut-il écrire au ministre quelconque de la Guerre qu’il est prêt à partir, avec quatre cents chevaux ? Au moins il aurait un ordre : tandis qu’il prétend ne rien savoir, accusant le Comité provisoire de saisir ses dépêches, et