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pourtant qu’il sera très prochain. Hier, en arrivant à la caserne, on m’apprend qu’une dépêche de Paris ordonne l’envoi immédiat d’un escadron de 140 hommes. Vous jugez si je cours après les officiers pour demander d’en être. Le capitaine instructeur, M. de la Gasnerie, me répond que l’escadron ne partira guère avant jeudi et qu’alors il pourra sans doute m’y mettre. Voilà ce que j’espère.

Adieu, ma bonne maman ; je pars pour la messe. Ne craignez rien pour moi. Dieu me protégera et je ferai mon devoir.

Votre dévoué, respectueux et heureux fils.

DENYS.


Vienne, septembre 1870 [1].

Ma chère maman,

L’escadron de guerre est parti et je n’en suis pas. Cela m’a fait le cœur bien gros. Tous mes camarades étaient réunis dans la cour, avec leurs chevaux frais et piaffants, leurs paquets ficelés sur la selle, et les banderoles de leurs lances flottant au vent. Ils sont partis au milieu d’une fanfare ravissante et des cris de joie. Ceux qui restent, les trop vieux ou trop jeunes, allaient donner des poignées de main à leurs amis, et souhaiter un prompt retour à beaucoup de camarades qui ne reviendront pas. Moi, je n’avais jamais eu autant de chagrin depuis le départ de papa, et je pleurais un peu dans mon coin. Mais cela est vite passé.

Aujourd’hui la joie me revient très fort, parce qu’après les dérangements du départ on repense à nous. Le capitaine de la Gasnerie nous rend un brigadier, qui nous fera manœuvrer quatre fois par jour, et ensuite partira avec nous. Quand sera-ce ? Le major m’a dit plusieurs fois aujourd’hui : « Vous voudriez bien être déjà là-bas. » Vous jugez si je lui répondais invariablement oui. Je crois que cela ne tardera pas. Peut-être enfin partirons-nous au commencement de la semaine.

  1. De ces lettres écrites par Denys Cochin en août 1870, il serait singulièrement émouvant de rapprocher celles qu’écrivait, en août 1914, cet admirable Augustin Cochin, qu’attendait une mort glorieuse. A quarante-quatre ans de distance, les mêmes événements ont éveillé chez le père et le fils, les mêmes sentiments exprimés presque dans les mêmes termes.