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de stipuler que tout désarmement devrait être général et aurait pour condition préalable une « alliance défensive générale de tous les pays intéressés » ; il ajoute même que, dans le cas où « un pays court tout particulièrement risque d’être attaqué, des mesures spéciales devraient être prises au préalable pour sa défense. » Mais il faudrait s’entendre d’abord sur le sens du mot désarmement. Un pays qui n’a pas de bateaux de guerre peut à la rigueur être réputé désarmé sur mer. On ne cache pas un cuirassé dans une cave, tout au plus un sous-marin démonté ; mais des canons, des mitrailleuses ? Les hommes sont toujours là et les sociétés de gymnastique, de tir, peuvent servir à les exercer, à les encadrer. Enfin il faut bien dire qu’aucune garantie ne nous donnerait la même sécurité qu’une solide armée nationale ; l’exemple du traité de Versailles, signé par le Président des États-Unis lui-même et rejeté ensuite par le Sénat, nous a rendus défiants. Quelle signature obligera irrévocablement un État à venir au secours de son voisin attaqué ? Le vote d’un Parlement peut toujours défaire ce qu’un ministre ou un chef d’État aura signé, renier même les résolutions adoptées dans une autre session par une autre majorité. Le Gouvernement français a établi d’ailleurs, par des chiffres irréfutables, qu’il a, plus que tous les autres, réduit ses armements depuis 1919. Si l’on compare le budget de la guerre des grands pays en 1914 et en 1922, on constate qu’aucun n’a augmenté ses dépenses militaires moins que la France : 90 pour 100 contre 174 pour les États-Unis, 181 pour l’Angleterre, 275 pour l’Espagne, 290 pour le Japon, 390 pour l’Italie. Les dépenses françaises sont, en francs-or, de 1 823 millions, celles du Japon de 1 900, celles de la Grande-Bretagne de 4 300, celles des États-Unis de 6 100. La France a donc donné l’exemple d’un désarmement raisonnable et compatible avec sa situation en Europe et dans le monde ; elle continuera, dans la mesure où elle le jugera possible, mais elle n’acceptera pas, sur ce point, d’injonctions ou de conseils, si désintéressés qu’ils puissent paraître. L’armée française est, en Europe, le plus puissant facteur d’ordre et de paix : l’affaiblir, ou simplement parler de la réduire, c’est accroître les chances de guerre.


RENÉ PINON.


Le Directeur-Gérant :

RENÉ DOUMIC.