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est proclamé à Berlin, des arrestations nombreuses sont opérées ; les chefs réactionnaires les plus compromis, Helfferich, le comte Westarp, Ludendorf, s’éclipsent. Les funérailles de Rathenau sont, au Reichstag, l’occasion de discours sérieux, mesurés, énergiques : la République allemande est en danger ; on se groupe pour la défendre, on ne veut pas retomber sous la dictature militaire des brouillons qui ont conduit l’Allemagne au désastre. Le dimanche 3, se déroule, dans les rues des quartiers du centre de Berlin, une de ces manifestations silencieuses, disciplinées, comme on n’en voit qu’en Allemagne ; pas de police ; plusieurs centaines de mille hommes, femmes, enfants, groupés en vereine (associations), en syndicats, défilent sérieux, tristes ; ils portent des pancartes où sont inscrits leurs revendications et leurs vivats ; peu de cris ; seulement quelquefois un chaut sourd et grave, l’Internationale ou la Marseillaise des ouvriers. Dans la plupart des villes d’Allemagne, des manifestations semblables sont organisées ; à Darmstadt, au lendemain de l’assassinat, le sang a coulé ; à Lubeck, au conseil municipal, les bustes de Bismarck et de de Mol(ke sont brisés. Le mouvement a partout un caractère socialiste, antimilitariste, républicain. Un projet de loi pour la protection de la République, déjà approuvé par le conseil d’Empire par 48 voix contre 18, est soumis au Reichstag ; il édicte des peines graves pour réprimer non seulement les complots, mais toute préparation d’attentat, toute complicité, ne fût-ce que celle du silence, toute insulte contre un membre du Gouvernement, contre la constitution ou le drapeau républicain. Le projet sera sans doute volé, mais sera-t-il appliqué ? Le Gouvernement n’a pas osé aller jusqu’à l’expulsion immédiate des princes des familles ayant régné en Allemagne. Une majorité nouvelle, plus forte, se forme au Reichstag ; elle comprend le Centre, les démocrates et les deux fractions du parti socialiste. Les indépendants vont recevoir deux portefeuilles dans le ministère Wirth remanié et consolidé. Ainsi, l’assassinat de Rathenau a obligé le Gouvernement à affirmer une politique plus énergiquement républicaine ; il a mis en présence les forces sociales des deux Allemagnes historiques.

Il a aussi accentué les divergences entre Munich et Berlin. Le ministère du comte Lerchenfeld a toujours cherché à atténuer ces dissonances et la visite du président Ebert à Munich, au commencement de juin, a été, malgré quelques manifestations hostiles, une démonstration de l’attachement de la capitale bavaroise à l’unité du Reich, ce qui ne veut pas dire à la centralisation berlinoise. La force