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radium soient projetées sur de l’aluminium, la quantité d’hydrogène libérée par la désintégration des atomes d’aluminium serait inférieure à un millième de millimètre cube par an.

« Que nous importe donc, vont s’écrier les pragmatistes, une transmutation qui ne peut s’exercer que sur des quantités aussi petites de matière ? Ce n’est pas encore cela qui remplira nos poches d’or et résoudra la crise des changes. »

On me permettra de leur répondre qu’à côté des problèmes du primum vivere ceux du philosophari ne cesseront jamais de passionner certaines âmes infirmes... ou éminentes ; que d’ailleurs, et si on veut s’abaisser un instant au point de vue utilitaire, on ne sait jamais quelle répercussion aura une petite expérience de physique ; que celle-ci peut en avoir autant que les petits amusements de salon que réalisait Galvani au XVIIIe siècle et d’où a jailli toute l’industrie électrique ; que d’ailleurs maintenant la possibilité, au moins théorique, de déchaîner l’immense énergie intraatomique n’est pas une mince conséquence des admirables expériences de Rutherford.

Quelque chose pourtant fera dans tout ceci aux utilitaires une peine irrémédiable : c’est que la transmutation, telle que la réalise Rutherford, est exactement le contraire de ce qu’avaient rêvé les alchimistes. Leur espoir mercantile avait souhaité la transformation des atomes légers en atomes lourds. Lui nous a montré seulement la possibilité, dès maintenant réalisée, de la transformation inverse.

Mais en quoi la transmutation racinienne de l’or « pur » en plomb « vil » est-elle moins merveilleuse que l’inverse pour les philosophes ? Il est vrai qu’on n’en rencontre pas à chaque coin de rue par le temps qui court.


CHARLES NORDMANN.