Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le monde comme formé de particules indivisibles, d’atomes d’une même substance fondamentale. « L’existence de l’atome entant que substance susceptible de prendre des formes variées par un nombre illimité de combinaisons suffit à expliquer tous les phénomènes de l’Univers. Tout est formé par des unions et séparations avec mouvement. » Les alchimistes médiévaux, qui, en dépit de leur préoccupation mercantile et pragmatique, firent avancer la chimie par leur talonnante expérience, procédaient plus ou moins consciemment de cette idée. S’ils avaient cru, comme Dalton et les principaux chimistes du siècle dernier, à l’hétérogénéité essentielle, à la spécificité irréductible, à l’indivisibilité des particules ultimes des différents corps, la transmutation leur fût apparue comme un problème absurde a priori.

Pourtant, il y eut naguère quelques savants rebelles au dogme daltonien de la spécificité atomique. Le chimique Prout en particulier remarqua que si le poids de l’atome d’hydrogène est égal à 1 les poids de tous les autres éléments chimiques sont presque exactement des multiples entiers de 1 ou des nombres très voisins de ces multiples entiers. Prout en déduisit que les atomes des différents corps sont formés par l’union d’un certain nombre d’atomes d’hydrogène. L’hydrogène serait donc l’élément primordial et commun de toute matière. C’était là une idée identique à celle de Démocrite et Leucippe dont Lucrèce a été le chantre magnifique.

Mais l’hypothèse de Prout fut considérée comme intenable lorsque les travaux minutieux de Stas eurent établi que certains poids atomiques ne sont pas exactement des multiples entiers de celui de l’hydrogène, et que les petites différences observées ne tenaient pas, comme on l’avait pensé, aux erreurs d’expérience, mais étaient réelles. En particulier pour le chlore, le poids atomique, — ou pour mieux dire la masse atomique, — qu’on observe est 35,5 fois plus grande que celle de l’hydrogène, et ce nombre présente un écart important et réel avec un multiple entier de l’hydrogène. Tout cela fit qu’on ne s’arrêta pas à l’hypothèse de Prout. Nous verrons pourtant qu’il avait raison ou presque, et comment l’existence de poids atomiques fractionnaires s’explique aujourd’hui parfaitement... Mais n’anticipons pas.

D’autres phénomènes d’ailleurs conduisaient irrésistiblement à envisager la divisibilité des divers atomes daltoniens. L’analyse spectrale en particulier montre dans la lumière d’un élément chimique donné des ondes monochromatiques nombreuses correspondant