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que tant de fois il avait suivi pour aller au parloir du couvent de Santa Anna rendre visite à la belle recluse : Émilia Viviani. Au milieu de mille souriantes beautés poétiques qui ornent ses ouvrages, Percy Bysshe offre beaucoup de l’âme de Dante. Emilia eût été sa Béatrice. Mais à Venise, aux bords des lagunes, lord Byron, durant leurs âpres et longues promenades le long des flots, lui avait lu plus d’un chant de Childe Harold. Cependant, à Rome, il avait éprouvé d’autres orages. C’est à Rome, au palazzo Barberini, qu’il avait admiré, pour la première fois, ce saisissant portrait de Béatrice Cenci peint par le Guide, et d’où devait naître tout un drame poétique ; c’est à Rome enfin, au printemps de 1819, sur les ruines des bains de Caracalla, dans un décor de Piranese tout festonné de pampres, envahi de vigne vierge et de lierre, qu’il avait, en partie, composé le Prométhée délivré.

Et maintenant, c’était, non loin du Tibre, à deux pas de ces mêmes thermes de Caracalla, proche du mont Testaccio, à l’ombre de la pyramide de Cestius, entre les pins et les cyprès, qu’allait reposer celui dont l’âme passionnée et le cœur tumultueux n’avaient rencontré l’apaisement que dans la mort. S’il y a au monde un lieu recueilli, plein de silence, où le soleil même semble tempéré dans son ardeur, c’est bien ce petit cimetière protestant de Rome où dorment côte à côte Keats et Shelley.

Une fois déjà en décembre 1818, le poète de Prométhée avait franchi la porte Paolo, et comme guidé par cet ange invisible qui mène souvent les hommes vers ce lieu de leur tombeau où ils doivent finir, il était entré dans ce champ paisible. Pénétré par tant de recueillement, de calme et de simplicité, il avait déclaré que ce cimetière était « le plus beau et le plus solennel qu’il eût vu jamais. » « S’il faut mourir, avait-il dit encore, c’est là que je voudrais être. » Et c’est là en effet qu’Edward John Trelawny et Leigh Hunt vinrent inhumer ces cendres qu’en compagnie de lord Byron, ils avaient recueillies, en même temps que le cœur du poète, après la funèbre cérémonie de la crémation, sur le bûcher de Viareggio. Et c’est encore Hunt et Trelawny qui se chargèrent de composer l’épitaphe gravée sur la dalle romaine et qu’un siècle ne suffit pas à effacer :