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temps fut calme ; le ciel pleurait sur leur tombeau ! » Tombeau profond des vagues, c’était celui où venait de sombrer le poète qui avait surpris le secret des mers et à qui les Océanides, tant de fois, avaient fait signe.

Ceux qui ont accompli le pèlerinage d’Oxford ont pu apercevoir, dans la vitrine de la Bodleian library où sont conservés les souvenirs de Keats et de Shelley, l’exemplaire du Sophocle retrouvé par Trelawny dans la poche du vêtement du poète, après que la mer eut rejeté le cadavre en vue de Viareggio. Shelley avait emporté ce Sophocle à bord de l’Ariel en quittant Livourne, et Leigh Hunt, après lui avoir dit adieu à Pise, lui avait remis un volume de Keats. C’était là pour ce drame d’horreur et de mort, les deux témoins bien dignes d’assister aux derniers moments de celui que Byron a montré méconnu des hommes, mais que la postérité devait placer justement un jour, entre Sophocle et Keats, parmi les plus grands.

Keats surtout, Keats si élevé, si pur et frémissant, si parfaitement digne d’aimer et d’être aimé, avait, avant de mourir sous le même ciel que Shelley, composé une Ode à une urne grecque, ce poème où il semble que tout ce qui fut beauté, passion, amour et joie se trouve réduit à une poignée de cendres. Et voilà justement que c’était dans une urne et que c’était sous forme de cendres que les restes de Shelley devaient, après le naufrage de l’Ariel et l’épisode de l’incinération, être transportés à Rome pour y être inhumés, dans le cimetière protestant de cette ville, à côté de ceux de ce même Keats que Shelley avait pleuré dans Adonaïs.

Mistress Shelley, dans sa triste lettre publiée plus tard, semble avoir tout résumé de ces grands faits. C’est quand elle écrit, durant que Byron, Hunt et Trelawny sont allés procéder à la funèbre cérémonie de la crémation du corps du poète auprès de Viareggio, ces mots déchirants par lesquels s’achève son récit : « Aujourd’hui le soleil brille dans le ciel... Ils sont allés aux bords désolés de la mer rendre les derniers devoirs à ses restes terrestres... Ceux-ci seront portés à Rome à côté de mon enfant, et là moi aussi, j’irai les rejoindre un jour. Adonaïs n’est pas l’élégie de Keats, c’est sa propre élégie. »

Rome, autant que Pise ou Venise, avait toujours exercé sur Shelley une grande fascination. Le poète eût pu vivre un siècle, qu’un siècle il se fût souvenu de ce quai du Lungarno à Pise