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le Chénier de Dryas, de la Jeune Tarentine, celui dont les idylles marines, parées d’écume et gonflées de brise, ressemblent à de blanches voiles inclinées sur les flots.


« Tout est-il prêt ? partons. Oui, le mât est dressé ;
Adieu donc. » Sur les bancs le rameur est placé ;
La voile, ouverte aux vents, s’enfle et s’agite et flotte ;
Déjà le gouvernail tourne aux mains du pilote.
Insensé !... [1]


Oui, insensé le poète, insensé le rêveur qui défiait ainsi le danger ! Avec cette intuition des femmes dont le cœur perçoit, en ce qui concerne les êtres chers, jusqu’aux moindres avertissements du destin farouche, Mary Shelley, dès-le premier moment de leur installation à San Terenzo, avait éprouvé que cette présence continuelle de la mer allait inciter Percy Bysshe à bien des tentations, l’exposer à bien des périls.

Il faut dire que cette casa, où les Williams devaient venir rejoindre les Shelley à la veille du drame, n’était pas précisément souriante. Il ne fallait pas moins que l’imagination du poète pour transformer en un palais de féerie cette demeure rustique, bâtie en terrasse, à demi abandonnée sur la plage et qu’un auteur italien, M. Guido Biagi, en une photographie impressionnante, nous représente, après Félix Rabbe, « d’un aspect triste et sévère, élevée sur des arcades en forme de cloitre, adossée à une colline couverte d’une sombre forêt, et dominant la mer dont les flots venaient se briser au pied de la maison. »

Mary avait, dit-on, éprouvé une véritable répugnance, après l’heureux séjour de Pise, à venir s’installer dans un endroit aussi sauvage et dont la population, composée de paysans ou de matelots faisant la contrebande, était fort primitive ; mais, épris comme il l’était d’espace, de nature vierge et de liberté, Percy Bysshe ne faisait que se rire des appréhensions dont sa femme était tourmentée. Véritable Ariel ou Puck de la poésie, il déclarait sublime ce séjour choisi en face de la baie la plus belle du monde, cette « divine baie, » comme lui-même l’écrivait avec transport à Horace Smith. Et la grotte de Prospéro, qui est toute scintillante et illuminée, n’eût certes

  1. André Chénier : Dryos.