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la transparence, le charme lumineux, délicat de son art, tout cela avait pris quelque chose d’allègre et de radieux dont il semblait que sa poésie trempée de rosée, baignée de soleil, eût reçu l’empreinte et connu le rayonnement. Un poète français d’une inspiration élevée a bien compris ce qu’était devenu Shelley alors et que, sans doute, il s’éloignait de Byron pour se rapprocher de ceux de ses compatriotes qui s’étaient comme lui, dès leurs jeunes ans, nourris des fruits féconds de la nature anglaise. Et c’est M. Louis Le Cardonnel quand, dans sa Louange d’Alfred Tennyson, il nous a montré, rassemblés en une seule cohorte :


... Spencer aux splendides images,
Wordsworth penché le soir sur de pensives eaux,
Keats retrouvant le son des antiques roseaux,
Shelley presque perdu dans les ardents nuages…


La langueur de l’été toscan, les parfums qui montent de cette baie radieuse et tous les doux prestiges d’un paysage combiné avec harmonie aidaient encore à embellir et à purifier cet art si souple d’un poète qui aspirait à un Eden, à une terre propice pareille, a-t-il dit dans Epipsychidion, « à une fiancée dévêtue toute brillante d’amour et de grâce. » Le fait est qu’à ce moment sa poésie avait pris un développement, une fraîcheur et une teinte adorables, et qu’une si tendre lumière, une si insinuante mesure se répandait, à mesure qu’il avançait vers la perfection, en ces « strophes liquides et sinueuses, » que M. André Chevrillon a fait voir toutes riches et scintillantes.

Semblable à ce souple et fuyant Ariel à qui commandait Prospéro, Shelley ne vivait cependant pas seulement dans « les ardents nuages ; » la mer aussi était l’élément où il se plaisait à se perdre et à rêver. N’avait-il pas, attiré par le battement de l’onde, donné justement au bateau sur lequel il devait trouver la mort ce nom même d’Ariel ? Et comme nous le retrouvons en lui, élevé à un point suprême, ce prestige de l’eau qui, depuis le Shakspeare de la Tempête jusqu’au Stevenson des voyages, en passant par le Byron de don Juan, a communiqué aux lettres anglaises cette spéciale beauté, d’une fraîcheur pénétrante, d’une cadence sourde et comme marine, enfin ce souffle liquide dont seuls ces insulaires ont surpris le secret.