Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloquemment : « Son vaste génie poétique dépasse son pays et a quelque chose d’universel[1]. »

À l’occasion de ce centenaire de la mort dramatique d’un poète emporté, à l’âge de notre Chénier, et dans une fureur des éléments non moins mortelle que la fureur des hommes, il y a lieu de le rappeler pourtant : « sa mort n’eut pas une ligne dans les journaux. » Et cette remarque, que James Darmesteter devait présenter à l’occasion de la publication faite à Londres, par Richard Garnett, d’un choix de lettres de l’auteur des Cenci et d’Epipsychidion[2], il y a bien longtemps que Byron, qui était assez grand pour mesurer de son regard d’aigle une grandeur rivale, l’avait exprimée.

Le 8 août 1822 exactement, de Pise où il continuait d’habiter, il faisait savoir à Londres à son ami Moore, en même temps que la nouvelle de l’événement affreux de Viareggio, son sentiment sur cette brusque disparition d’un homme que la gloire avait, jusque-là trop négligé. « En voilà dit-il, encore un de parti, un de ceux sur lesquels le monde s’est méchamment et brutalement mépris. » « Peut-être, ajoutait-il, lui rendra-t-on justice, maintenant que cela ne peut troubler son repos ni le lui donner. »

Comme beaucoup de prédictions des grands hommes, celle de lord Byron s’est réalisée. Grâce aux efforts persévérants de la Shelley society, aux savants et complets travaux d’Edward Dowden, d« Garnett, de Symonds, de William-Michaël Rossetti, le culte de Shelley s’est imposé en Angleterre. De là il s’est répandu en Italie, en France. Et maintenant que le nombre des shelleiens, comme disait Félix Rabbe, des shelleyistes, ainsi que l’a écrit Darmesteter, n’a fait que s’accroître dans le monde avec les années, nous pensons que ce serait une pieuse pensée que d’entreprendre, par l’imagination au moins, un pèlerinage aux divers endroits où vécut ce héros poursuivi d’un destin fatal.

Pour nous, il nous est arrivé d’accomplir deux de ces visites mémoriales à Percy Bysshe. La première fois, ce fut à Londres, dans cette salle de la National portrait Gallery où Shelley est visible dans le portrait d’un caractère si touchant que miss

  1. Gabriel Sarrazin, La Renaissance de la poésie anglaise, 1889.
  2. Select letters of Percy Bysshe Shelley, edited by Richard Garnett, Londres, 1882.