Quand Caterina, la nourrice, qui se tenait sur la terrasse, aperçut Trelawny, elle jeta un cri. « Après, dit le fidèle ami de Byron et de Shelley, lui avoir posé quelques questions, je montai les escaliers, et sans me faire annoncer, j’entrai dans la chambre. Je n’eus pas besoin de parler... » Et simplement Trelawny ajoute : « Elles ne m’adressèrent aucune question. Seuls, les grands yeux gris de mistress Shelley étaient fixés sur mon visage. Je baissai la tête... » Quand il la releva, Trelawny aperçut devant lui Jane et Mary, confondues dans un embrassement muet duquel ne montait plus qu’un seul et même sanglot. Alors devant ce spectacle déchirant, lui le farouche garçon qui tant de fois avait affronté l’Océan, lui qui si souvent était monté sur la mer, il pensa aux âmes gonflées d’orage d’Alastor, de Julian et Maddalo, de Béatrice Cenci, ces créatures sorties vivantes du génie de Shelley ! Il se souvint du chant d’Asia, l’Océanide, dans Prométhée délivré, ce chant dans lequel semble planer le suprême adieu du poète : « Nous cinglons à la dérive, au loin sans but et sans étoiles — mais traînés par les fils des voix éoliennes. — Quelles sont ces îles élyséennes ? — O toi, le plus beau des pilotes, — où va la barque de mon désir ? — Quel est le flot que fend ma proue ? — L’air qu’on respire en ces royaumes n’est qu’amour... »
Aux pieds de Trelawny, le même sanglot qui montait par saccades, continuait de secouer les deux veuves. Au loin, plus loin que le golfe, l’isola Palmaria, l’isola del Tino, les deux îles radieuses, face à Porto Venere, fleurissaient sur la mer. Il y a de cela cent ans. Et dans ce site de beauté, d’azur, de lumière et de grâce, il semble bien qu’il retentisse toujours le cri de William-Michaël Rossetti nous montrant Shelley « battu du monde, battu des vagues, le plus divin des demi-dieux ! »
Demi-dieu dans la poésie anglaise, Shelley n’est pas éloigné de l’être aujourd’hui dans la poésie humaine. Dans une dédi- cace adressée jadis à M. Paul Bourgi-t, M. Gabriel Sarrazin, dont les travaux sur la vie et l’œuvre de Percy Bysshe se placent à côté de ceux de Rabbe et de MM. Chevrillon et Schuré, l’a dit