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qu’il y mît, le marin ne put dissimuler en effet que Shelley et Williams avaient bien, malgré ce qu’il avait entrepris pour les en dissuader, quitté Livourne le lundi 8 juillet à une heure de l’après-midi. A ce moment l’Ariel filait sept nœuds à l’heure ; la mer était belle ; mais, vers trois heures, le terrible vent du golfe que les Italiens appellent temporale, et qui est plus violent encore que le mistral et le sirocco, se mit à souffler. C’est alors que Roberts commença à prendre peur. Il était, dit-il, monté dans la tour qui servait de poste d’observation ; grâce à sa lunette, il avait pu découvrir, environ à quelques milles en face de Viareggio, l’Ariel serrant ses huniers. Puis l’ouragan avait rendu le ciel si obscur que Roberts n’avait plus rien aperçu. « Quand le calme revint, ajouta-t-il, il n’y avait plus un seul bateau sur la mer ! »

Et pourtant Roberts espérait ! Un courant favorable aurait pu, selon lui, emporter l’Ariel du côté de la Corse. Aussitôt, les pauvres femmes, les pèlerines de la douteur et de l’anxiété supplièrent qu’on les conduisît à Viareggio. Là on avait recueilli un baril d’eau et un petit canot qui servait de chaloupe à l’Ariel. Jane et Mary sentirent, à cette découverte, que leur cœur se serrait encore plus fort. Mais, que fut-ce, au retour, à la Casa Magni, leur logis de San Terenzo ! Cette nuit-là il y avait fête au village. Tout était illuminé, et, suivant une coutume locale, les paysans dansaient sur le rivage, au milieu des vagues, en poussant de longs cris sauvages.

Ce spectacle nocturne empruntait aux circonstances quelque chose de tragique. Dans cet état effrayant, partagées entre la prostration et l’espérance, les jeunes femmes attendirent jusqu’au 18 juillet. Ici, il faut laisser la parole à Edward John Trelawny, l’ami de Shelley et de Byron, le même à qui Byron avait donné le commandement de son yacht, le Bolivar. Quand Trelawny apporta à San Terenzo la nouvelle que les cadavres de Williams et de Shelley venaient d’être découverts à trois milles l’un de l’autre, sur le rivage de Viareggio, il était environ sept heures du soir. C’était l’instant divin où justement la baie est si belle, où s’allument, en face de San Terenzo, les lumières de Lerici. Et le parfum du myrte, à cette heure, embaumait l’air ; tout, sur le doux rivage, ainsi que dans le poème de la Sensitive, semblait apprêté pour la rêverie et pour l’amour.