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Cet appel du fils à son père, ce signe de l’enfant des eaux s’était-il renouvelé, pour Williams et Shelley, durant la traversée, cependant assez brève, de Livourne à Lerici ? Lord Byron, qui commençait de l’appréhender, se gardait bien d’exprimer à voix haute sa crainte secrète. Mais elles, les deux pauvres femmes, les deux Antigones à la recherche des êtres de leurs êtres, on eût dit qu’elles s’efforçaient de surprendre, dans les yeux ardents et voilés du poète, tout ce qu’un homme, qui avait défié tant de fois la mer et qui avait adressé de si furieuses apostrophes à l’Océan, pouvait redouter de ces brusques tempêtes qui s’élèvent soudain et laissent après elles, partout où elles ont sévi, la dévastation et le malheur.

Dans cet état, ni les tendres embrassements de la comtesse Guiccioli, ni les fiévreuses paroles de Leigh Hunt, accouru enfin, et qui s’efforçait en vain de leur rendre espoir, ne purent les retenir à Pise ni l’une ni l’autre. Ombres tremblantes, poursuivies par le pressentiment épouvantable, elles s’enfuirent du palais Lanfranchi plus qu’elles ne le quitteront. A cette heure, l’Arno coulait entre les quais bas ; il avait ce calme apaisé, cette charmante et molle douceur qui font de lui le fleuve délicieux, presque caressant.

En le considérant, Mary songeait que c’était non loin de ces rives, au bois des Caséines, que Shelley avait composé son ode farouche Au vent d’Ouest ; et, tandis qu’à travers la buée des larmes, elle contemplait les embarcations aux voiles latines, elle se souvenait que c’était aussi par l’Arno qu’ils avaient entrepris, une fois, de venir de Florence à Pise ; mais à Empoli, en raison du courant, ils avaient dû s’arrêter et achever le parcours en voiture. En ce temps-là — 1820, — Percy Bysshe n’avait pas rencontré encore, dans le parloir du couvent de Santa Anna, la belle et malheureuse Emilia Viviani ; mais déjà son cœur la pressentait ! Déjà il portait en lui ce poème de la Sensitive qui demeure bien le plus édénien, le plus radieux qui jaillit jamais du cœur d’un poète.

En quittant le palais Lanfranchi, Jane et Mary rencontrèrent un vetturino qui consentit à les conduire à Livourne à deux heures du matin ; mais là elles durent attendre jusqu’à l’aube pour rencontrer le capitaine Roberts, le même qui avait aidé naguère Shelley à construire et fréter le petit bateau l’Ariel. Le rapport de Roberts fut accablant. Quelque forme