et l’essence profonde. Il répugnait aussi à surveiller chaque jour le travail de ses élèves. « Souvent, disait-il, on cherche des choses qui paraissent absurdes, qu’on aurait presque honte à dire. Eh bien ! par cela même qu’elles sont spontanées, ce sont parfois les plus fécondes. Un professeur doit laisser faire. » Tandis qu’il parlait, je me rappelais le récit que me fit Edmond Becquerel la première fois que je le vis dans son vénérable laboratoire du Muséum. Il avait été rendre visite à Londres à son ami Faraday. Celui-ci vint le chercher un dimanche matin à son hôtel pour lui montrer le gros électro-aimant qu’il venait de construire. Faraday emportait dans un journal un paquet qui intriguait un peu son collègue. Il le déballa avec une joie d’enfant, et Becquerel le vit avec stupéfaction placer entre les armatures de l’appareil, un bifteck bien saignant. « Je vous ai emmené avec moi aujourd’hui, lui dit Faraday, parce qu’il n’y a personne au laboratoire ; c’est une expérience que je n’aurais jamais osé faire devant mes préparateurs, car on se serait trop moqué de moi. »
Bien que Lippmann eût débuté par être professeur de physique mathématique, il estimait, comme son ancien maître Jamin, que l’abus des formules obscurcit les phénomènes plutôt qu’il ne les éclaire. La préface de son livre sur les Unités électriques absolues contient sur ce sujet quelques lignes singulièrement pénétrantes. Il répugnait à l’automatisme des méthodes purement algébriques où seuls le point de départ et le point d’arrivée sont visibles.. Pour être maître d’un sujet, le physicien doit pouvoir suivre tous les chaînons du raisonnement, chaque formule étant pour lui la traduction d’un fait concret. De là la préférence qu’il accordait à la géométrie, science plus intuitive et qui par le davantage à l’imagination. Il pensait aussi que, pour être utile, le langage scientifique doit être simple ; sinon, c’est un outil dont il devient trop malaisé de tirer parti. On sait qu’une des plus récentes théories de la science physique, celle de la relativité, fait appel à des méthodes de calcul si abstraites que, seuls, quelques rares spécialistes les ont pratiquées. Einstein lui-même est assisté d’un préparateur en mathématiques rompu aux difficiles procédés du calcul différentiel absolu et chargé de résoudre les problèmes dont il lui fournit les données. Le résultat obtenu, c’est au physicien qu’il appartient d’en trouver l’interprétation. Lippmann était sceptique