Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son édition ; il bout sur place, comme un débutant. Il écrit le 12 :

« Vous êtes maintenant au milieu de l’orage de la première livraison. Je n’en entends encore rien d’ici... Je souffre toujours comme un damné ; Mme de Chateaubriand souffre aussi. Il nous faut quitter ce pays. Je voudrais déjà que ma femme fût en route... »

Pourtant, il se tourmente à tort ; l’édition, au dernier moment, a dû subir un nouveau retard ; la première livraison ne parait décidément que le 15 juin ; il l’apprend la veille et réitère aussitôt ses recommandations.


Lausanne, le 14 juin.

... « Peu m’importe que Ladvocat publie le 15 au lieu du 10, s’il n’y a pas de censure. Son affaire pour lui est que sa livraison paraisse avant la censure ; autrement il ne pourrait faire annoncer comme il voudrait, tandis qu’on lâcherait contre lui tous les journaux ministériels, ou qu’on ne permettrait pas même d’annoncer l’édition. Voilà ce que Ladvocat ne voit pas ; qu’il y prenne bien garde. Avec mes lâches ennemis, il ne faut attendre ni impartialité, ni générosité, ni justice. Ils ne peuvent rien désormais contre ma personne, mais ils peuvent beaucoup contre la vente, c’est-à-dire contre Ladvocat. Ne lui dites pas cela de peur de l’effrayer ; mais pressez-le. Dites-lui que cela a mauvaise grâce de retarder, ce qui est la vérité. Je vous quitte, je souffre trop pour écrire plus longtemps... »

Une semaine passe, cependant, et puis encore une autre presque entière ; par les journaux Chateaubriand sait que l’édition a bien vu les vitrines le 15 juin ; il lit dans la Quotidienne un assez long extrait de son Abencerage ; il connaît, de loin, mille émotions ; mais l’exemplaire de la première livraison qu’on devait lui expédier la veille de la mise en vente, il l’attend encore en vain ; et il exprime son dépit à M. Le Moine, en une lettre bien amusante ; il y montre au surplus, sous ses grands airs à la René, un assez habile souci de ce que l’on a coutume, présentement, d’appeler le « lancement, » ou la « publicité » :


Lausanne, ce 26 juin.

« ... Il sera assez curieux que je n’aie pas un exemplaire de mes œuvres. Ladvocat me connaît, ou m’a deviné : il sait que je ne suis pas assez bête pour me relire ; c’est bien assez d’être forcé de lire les mots à mesure que je les écris pour la première fois !...