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5 juin.

« ... Qu’on n’abatte pas le mur du jardin, et qu’on attende, puisqu’on ne nous comprend pas ! Nous ferons faire cela, nous présents ; mais qu’on transporte toujours les pierres entassées au bout de la chapelle au bas du potager de l’Infirmerie, pour relever le mur tombé en cet endroit... »

Seulement, la terrible sœur Reine déploie toute une diplomatie de temporisation où M. Le Moine se laisse prendre ; le grand patron, à distance, sourit non sans un peu d’agacement :


14 juin.

« Vous écoutez trop la sœur Reine, mon vieil ami. Elle est plus fine que vous et que moi. Vous ne voyez pas qu’elle veut que les pierres restent là pour que je lui bâtisse la sacristie ? Il est pourtant plus que temps que je borne mes générosités pour l’Infirmerie, si je ne veux manger mon édition. Mais ne parlons plus de cela. Attendez-moi pour tout ce qui est extérieur de la maison ! »

«... Achevons seulement la maison : le reste après !... »

Chateaubriand ne devait avoir gain de cause que présent ; il fit abattre le mur sous ses yeux ; le père Niel se remit à fignoler sa barrière ; grâce à elle, des fenêtres de son pavillon, l’auteur des Mémoires put jouir de la perspective reposante dont il a tracé le tableau : « ... La démolition d’un mur m’a mis en communication avec l’Infirmerie de Marie-Thérèse : je me trouve à la fois dans un monastère, dans une ferme, un verger et un parc... [1] ». « De son lit ou de son fauteuil, » sa vue glissait, au delà de sa pelouse à l’anglaise, « par-dessus un mur d’appui que surmonte une barrière blanche losangée » sur un champ d’herbes fourragères ; puis, franchissant » un autre mur d’appui à claire-voie verte, entrelacé de viornes et de rosiers du Bengale, » elle se reposait sur les paisibles et religieux spectacles offerts par le parc de l’Infirmerie ; les jours ordinaires, « des sœurs de charité en robe d’étamine noire, et en cornette de basin blanc, des femmes convalescentes, de vieux ecclésiastiques » erraient par les allées, rajeunissant leurs souvenirs au contact du soleil et des fleurs ; aux jours de fêtes, des processions promenaient leurs chants et leurs bannières à travers les

  1. Mémoires d’Outre-Tombe, tome V, p. 2 et suiv.