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croyais avoir secoué pour toujours, et qui me semble plus pesant que jamais, ce qui prouve bien que ce n’est pas le joug du Seigneur… »

Peu de jours après l’arrivée à Lausanne, elle a pris son parti ; elle regagnera Paris avant son mari, afin qu’il trouve en débarquant, « la maison toute meublée. » Mais, pour qu’on la meuble, encore faut-il qu’elle soit habitable. M. Le Moine est chargé de presser les ouvriers, — et aussi l’excellente cousine d’Acosta, si dévouée depuis longtemps à Mme de Chateaubriand ; celle-ci l’a constituée sa mandataire auprès de la supérieure de l’Infirmerie, la sœur Reine. Les instructions de Chateaubriand sont nettes et détaillées ; du milieu de ses travaux littéraires, il pense à tout : à la pompe qu’il faut installer dans le jardin, après avoir bouché le puits ; à la cuisine dont il faut repeindre les planches, — et repeindre à l’huile surtout… Certain mur le préoccupe particulièrement : c’est celui qui sépare le jardin de la petite maison du grand jardin de l’Infirmerie ; Chateaubriand tient à le supprimer pour agrandir son horizon d’arbres ; avant de partir il a donné des ordres :


15 mai.

« … Le père Niel est chargé de faire une petite barrière peinte en blanc, qui doit remplacer le mur qui ferme notre jardin du côté de l’Infirmerie. Il faudra, aussitôt que cette barrière sera faite et prête à être posée, qu’on jette bas le mur, et que les pierres en soient transportées au bas du potager de l’Infirmerie. Cette besogne, pour bien faire, devrait être achevée vers la fin du mois prochain… »

Mais la cousine, au nom de l’Infirmerie, montre un grand amour pour le mur condamné : Chateaubriand s’étonne :


26 mai.

« … Il n’y a point à dire, il faut que le mur tombe : pourquoi ma cousine voudrait-elle le conserver ? Pour deux ou trois espaliers de l’Infirmerie ? ou pour m’enclore ? L’Infirmerie peut bien me sacrifier deux ou trois mauvais arbres, et je ne veux pas être enfermé. Faites donc abattre le mur ; c’est à quoi je tiens le plus. La petite barrière marquera seulement la propriété, et sera un vrai bijou… »

Mais la supérieure de l’Infirmerie, la sœur Reine, élève mille objections ; Chateaubriand envoie un ordre de sursis :