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Mme de Sivry et de Mme de Cottens, il travaille avec l’aide du fidèle Hyacinthe Pilorge qui l’a suivi dans sa retraite, comme il l’accompagna dans ses prospérités. Tandis qu’il rédige les notes à son Essai sur les Révolutions, et qu’il relit les pages où débordait jadis son admiration pour Rousseau, il a sous les yeux le lac, les montagnes, et, au loin, les rochers de Meillerie qu’immortalisa la Nouvelle Héloïse. Paysage merveilleux, et dont la première impression enchante les voyageurs ; Mme de Châteaubriand, au reste, a « supporté très bien la route : »


Lausanne, 11 mai.

« Je vous ai annoncé hier notre arrivée par un petit mot, mon ancien ami. Mme de Chateaubriand est mieux ; elle (est) gaie et ne parle que de son retour… Il y a quinze jours que je n’ai lu un journal, ni entendu parler de politique. Je m’en trouve à merveille. J’ai été reçu partout de la manière la plus populaire. Cela flatterait ma vanité, si je pouvais me séparer de celle de notre beau et malheureux pays.

« Mille amitiés, et venez nous voir. Nous avons appris qu’on fait le voyage pour 47 francs. Cela ne vaut pas la peine de rester chez soi ! »

Ainsi, Mme de Chateaubriand dont la maladie dépend des nerfs bien plus que de la poitrine, se rétablit de jour en jour ; c’est qu’elle a près d’elle son grand homme, que Mme Récamier et Mme de Duras sont loin ; il la reconquiert ; il l’endort de promesses ; mi-souriante, mi-grondeuse, elle se laisse persuader : la petite maison de la rue d’Enfer sera le havre du repos et de la mutuelle sérénité ; elle l’avoue, non sans un soupir encore, à M. Le Moine, heureux complice de la stratégie conjugale :


Lausanne, 13 juin.

« … Chaque fois que M. de Chateaubriand reçoit des lettres de Paris (y compris les vôtres) il rapproche tout doucement le terme de son retour dans cette détestable ville. Le prétexte ? son travail qu’il aura Uni plus tôt qu’il ne le croyait ; la difficulté de faire passer les livraisons achevées sûrement à son libraire, et celle de faire voyager ses épreuves… J’ai bien réponse à toutes ces raisons ; mais le voici pris d’un rhumatisme qu’il attribue à l’air de Lausanne, qui est en effet très humide : tout le monde se plaint, excepté moi, qui ne me plains de rien que de la triste nécessité de reprendre encore un joug que je