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leur expliquer sa décision ; il la motiva par ses difficultés financières, par les économies qu’il était contraint de faire, — qu’il ferait certainement en Suisse ; et cette raison-là avait bien quelque valeur ; elle semblait, cependant, discutable et spécieuse. Pour réduire son train, fallait-il que Chateaubriand quittât la France, et même Paris ? Le traité Ladvocat, au surplus, allait assurer son avenir : ne pouvait-il hypothéquer cet avenir ? emprunter, — ce ne serait pas la première fois, — sur les droits d’auteur qu’il devait prochainement recevoir ?...

Le comte Louis de Chateaubriand fit toutes ces réflexions, et quelques autres, lorsque son oncle, vers la mi-février, l’eut informé du projet qu’il venait d’arrêter. Il était l’aîné des neveux du grand homme, le représentant de la branche aînée des Chateaubriand, le chef d’armes de la famille ; de son oncle il venait de recevoir la survivance de la pairie [1] ; de son frère Christian, entré dans les ordres, la donation de biens patrimoniaux importants. Il ne pouvait oublier que ce même Christian, en 1817, avait généreusement conjuré la « tempête d’automne » qui, déjà avait failli jeter l’écrivain à l’exil. Il avait l’âme haute ; il admirait et vénérait son oncle. Le devoir, tous les devoirs, ne lui conseillaient-ils pas d’intervenir ?

A peine rentré à Amiens, où il tenait garnison comme colonel du 4e régiment de chasseurs, il intervint en effet. Mais il connaissait la susceptibilité ombrageuse de celui qu’il voulait obliger ; après plusieurs hésitations, il prit comme truchement le vieillard honnête et scrupuleux qui, en 1817, avait déjà fait aboutir les obligeants desseins de Christian ; et, dans cette lettre, noblement délicate, il le laissa juge de transmettre ou non ses offres à l’exilé par persuasion.


Amiens, le 24 février 1826.

« Monsieur, j’ai été vivement affecté de la dernière résolution de mon oncle et de ma tante de quitter leur pays pour un temps indéterminé. Je l’ai été d’autant plus que je crains que ce parti extrême n’ait pas été nécessaire autant qu’ils l’ont cru.

« Si mon oncle a eu l’intention d’être absolument seul pendant quelques mois pour terminer ses ouvrages, ou bien si les

  1. Chateaubriand, pendant son passage au ministère, le 23 décembre 1823, fit rendre par Louis XVIII une ordonnance qui instituait son neveu héritier présomptif de son titre.