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René,, était revenue à Paris ? Dès qu’elle lut sortie du lit où elle avait été tenue des semaines, Mme de Chateaubriand, en tout cas, n’eut qu’une idée : fuir.

Elle s’enfuit d’abord, sur le conseil des médecins, vers les régions du soleil et passa les mois de mars et d’avril à la Seyne, près de Toulon. Là elle s’enfonça dans une tristesse plus sombre que jamais ; elle abandonna même le projet, accepté cependant par son mari, d’une installation dans la petite maison proche de l’Infirmerie ; elle légua l’Infirmerie à Mme Récamier : « Il paraît, lui écrivait-elle, que le bon Dieu ne veut pas que cette œuvre tombe, puisqu’elle est remise entre vos charitables mains… » Bref, elle parut se détacher non seulement du monde, mais des raisons mêmes de vivre qu’elle s’était jusqu’alors laborieusement créées. Et, sans discuter davantage, Chateaubriand accepta d’aller séjourner auprès d’elle, en Suisse, où les médecins la voulaient voir apaiser ses nerfs et fortifier sa poitrine. Leurs perspectives n’étaient point rassurantes : ils parlaient d’un séjour de deux ans !

Deux ans ! Chateaubriand sans doute avait renoncé à l’espoir de revenir prochainement aux affaires ; mais il tenait à jouer son rôle à la Chambre des Pairs, à ne point briser sa plume des Débats ! Et surtout, désabusé des grandeurs politiques, il venait de se retourner avec une avidité juvénile vers la gloire littéraire.

Il avait conclu avec le libraire à la mode, Ladvocat, l’éditeur des jeunes romantiques, un traité, d’ailleurs avantageux, pour l’édition de ses Œuvres complètes ; celles-ci devaient paraître, enrichies de préfaces diverses, à partir de l’été de 1826, en livraisons, échelonnées sur plusieurs années, et calculées pour former une trentaine de volumes. Revoir les œuvres anciennes, les classer, choisir parmi les œuvres récentes, et particulièrement parmi les articles et les discours, les morceaux dignes de passer à l’avenir, mettre au point les œuvres nouvelles comme l’Abencerage et les Natchez, c’était une besogne sérieuse, absorbante ; et, pour la mener à bien, l’écrivain avait besoin d’avoir autour de lui du recueillement, de la sérénité, ses dossiers, ses livres, et Paris, ou la proximité de Paris. On ne pouvait choisir plus mal le temps d’une retraite en Suisse.

C’était bien l’avis secret de Chateaubriand ; c’était aussi l’avis de tous ceux qui l’aimaient. Il parut assez embarrassé de