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Ce départ ouvre une ère de difficultés conjugales qui ne se clora que deux ans plus tard par la capitulation de Chateaubriand. Sa femme, pendant ces deux ans, nourrit à l’égard de « Paris-Babylone » une sorte de phobie ; elle en fuit chaque fois que sa bronchite lui en fournit le prétexte...

En 1824, à peine est-elle partie que Chateaubriand court après elle ; il regagne seul Paris, précédé par cette lettre de Mme de Chateaubriand à M. Le Moine ; l’intransigeante fugitive y donne bien la mesure, — en même temps que les raisons, — de son obstination :

« Il faut convenir, mon cher monsieur, que M. de Chateaubriand a de bons conseillers autour de lui. Venir me voir pour trois jours ! encore ne voulait-il pas me les donner ! Il s’en retourne à Paris, Dieu sait pourquoi ! Mais ni vous ni lui n’en savez rien, si ce n’est que ni lui ni vous ne voulez me laisser aucun repos. Il part donc sans que rien puisse l’arrêter ; pour moi, je n’ai pu me résoudre à le suivre.

« Je sais à combien de tourments et d’inquiétudes je me livre ; mais je ne dois attendre la paix que lorsqu’on voudra bien me permettre d’arranger ma vie comme bon me semblera ; et la sienne aussi, car je m’y entends mieux que lui !... Rien ne m’amuse autant que d’entendre chacun de ses amis dire : « Il faudrait que M. de Chateaubriand n’écoutât pas ainsi tout ce qu’on vient lui dire. » Mais en même temps chacun veut lui dicter la conduite qu’il doit tenir. Tout cela nous jette dans la rivière, et avant me cause une véritable agonie.

« Je ne vous en veux pas à vous plus qu’aux autres ; mais j’en veux bien assez à tout le monde pour tenir mon pauvre esprit dans une agitation et irritation qui ne me rend pas ma solitude fort agréable. Il n’est plus question de repos : ma vie n’est plus assez irrévocablement fixée.

« Adieu, sans rancune ; vous me devez au contraire de la reconnaissance, puisque vous me mandez que ce qui vous fait tant plaisir, c’est que je trouve le moyen de vous gronder ici comme à Paris.

« Mille tendresses au milieu de mes fureurs. »

Ne pouvant d’abord triompher de tant de fureurs, Chateaubriand se résigna donc à s’aller ennuyer tout l’été à Neuchâtel ; mais dès les premiers jours de septembre, la nouvelle de la maladie de Louis XVIII lui fournit une fort opportune raison