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emporte ainsi une consécration inespérée de son prestige et de ses qualités politiques !


XI. — UNE FUGUE DE Mme DE CHATEAUBRIAND

Brusquement, devant les pas de Chateaubriand, la scène s’élargit encore. Il est ministre des Affaires étrangères. Après « son » Congrès, il a « sa » guerre, — la guerre d’Espagne. Il a gravi la cime : comme jadis dans les bois de Combourg, il y livre son front aux caresses et aux menaces de tous les orages... C’est presque avec indifférence, — à cause de vous, ô piquante Mme de Castellane, ô exigeante Mme Hamelin ! — c’est peut-être même avec soulagement qu’il voit Mme Récamier partir pour l’Italie le 2 novembre 1823, — pour l’Italie, où elle devait s’enfermer plus de dix-huit mois...

Pendant ce temps, dans le somptueux logis du ministère, ou dans le petit appartement de la rue de l’Université, le fidèle Le Moine, plus « gentilhomme de la chambre » que jamais, venait chaque soir verser à Mme de Chateaubriand ses consolations et ses encouragements « somnifères... »

Soudain, le soir du 6 juin 1824, le ministre, précipité du faîte d’où il n’aspirait guère à descendre, vient choir tout étourdi encore, auprès d’eux. Il avait, pour ce soir-là, au ministère, « un immense diner prié ; » il amène avec lui marmitons et casseroles, — « trois grands services préparés pour quarante personnes » ; et en place des ambassadeurs et des hommes d’État, il régale sa femme et son « vieil ami [1]. » A eux trois, ils firent sans doute un beau concert d’imprécations et d’anathèmes contre l’ingratitude du prince, et la trahison de Villèle.

Mais enfin, les premiers éclats jetés, il fallut arrêter quelques résolutions. Et les difficultés commencèrent.

Il semble que Mme de Chateaubriand, jusqu’alors aussi ambitieuse que son mari, lui ait conseillé de répondre à l’ingratitude par le dédain, de secouer sur la tête des royalistes la poussière de ses sandales, de se faire, ainsi, désirer et rappeler, au moyen d’une abstention systématique et, pour mieux souligner son mépris, de vivre quelques mois à l’étranger.

Elle est malade, d’ailleurs... Faut-il s’en étonner ? Dos maladies incessantes qui agitèrent sa femme, sans l’empêcher

  1. Mémoires d’Outre-Tombe, IV, p. 287-288.