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Vérone, ce 13 octobre 1822.

« Me voilà arrivé, me portant très bien, et comptant vous revoir bientôt. Tout fait croire que le Congrès sera court. Je vous embrasse, et vous prie de porter la lettre à l’Abbaye et de mettre l’autre à la petite poste. Tout à vous [1]. »

L’autre lettre ? On aimerait à connaître le destinataire, — la destinataire peut-être, — de cette « autre lettre » que, régulièrement, pendant son séjour à Vérone, Chateaubriand va enfermer dans le paquet de M. Le Moine, avec la lettre destinée à l’Abbaye. A Mme Récamier, — si jalouse, et avec raisons, — il jure qu’il ne rêve que d’attacher plus étroitement sa vie à la sienne : quels autres serments fait-il voisiner avec celui-là ? Au reste, comme chaque fois qu’il vient de quitter Paris, l’éloignement, d’abord, lui est pénible :


Vérone, 18 octobre.

« J’ai grande envie de recevoir une lettre de vous. Depuis le jour de mon départ, je n’ai pas entendu parler de Paris !... Vous me verrez à la fin du mois prochain. Je voudrais bien finir mes corvées, et vivre désormais avec et pour mes amis.

« Voilà une lettre pour l’Abbaye, et une autre pour la petite poste. »


Vérone, ce 29 octobre.

«… Je me porte bien et m’ennuie fort. Je voudrais être auprès de ma femme et de vous !... »

Il s’ennuie ; et pourtant il tient un rôle sur la première scène diplomatique du monde, où il a tant rêvé de monter ; il fraie avec Metternich, avec le roi de Prusse, avec l’Empereur ; et il a entrepris la conquête du Tsar !... Il s’ennuie parce qu’il s’est heurté, les premiers jours, à quelques obstacles qu’il n’avait pas prévus dans les négociations, parce que Mme Récamier ne lui écrit pas, ni d’autres sans doute, non plus, et parce que c’est son destin de mépriser tout ce qu’il vient de conquérir. Mais l’ivresse succède vite à la dépression : «... J’ai vu tous les souverains ; j’ai été enchanté des deux empereurs, qui m’ont reçu à merveilles. J’espère bien vous embrasser à la fin de novembre... »

Il vit trois semaines de négociations vertigineuses ; et puis, tout de suite, il parle de départ :

  1. Rappelons, une fois pour toutes, que toutes les lettres à M. Le Moine sont inédites.