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sous le tricorne et la baüta. Une foule de petits nègres y abritent sous de hauts parasols, le doge de Max et moult belles dames endiamantées. On avait annoncé un éléphant blanc et un lion fauve, mais on n’a exhibé qu’un chameau se promenant majestueusement parmi les plaisanteries que l’on devine. On a admiré toutes les « entrées, » Venise aux pieds de laquelle se roule de marche en marche un danseur nu et doré représentant sans doute l’admiration universelle ; l’Adriatique étincelante à la traîne interminable et sinueuse, comme le Grand Canal (j’allais dire en personne) et la fastueuse et ravissante ambassade persane et les Bouddhas d’or et les Bouddhas bleus, et la troupe charmante et funambulesque de toute la Comédie italienne, Pierrots, Arlequins, Colombines, Cassandres joyeux, pittoresques et dansants... et une sirène déguisée en bacchante avec des grappes dans les cheveux et une queue de tritonne. Et tous ces défilés, il faut bien le dire, se détachant sur un grand rideau noir, vaste fond de ténèbres, qu’avait fourni la maison de Borniol... O Bossuet, n’êtes-vous pas dans la salle, avec Casanova ?... Tous ces figurants et tous les autres costumes de toutes les couleurs, d’un luxe extrême et souvent d’une grâce et d’un goût charmant ou baroque, évoluent et tournoient dans une ondoyante et mouvante fantasmagorie. Mais les beaux masques quittent la cohue chatoyante et qui danse toujours aux sons de deux orchestres, — assez maigres pour l’immense Opéra, — et qui mêle les teintes et les formes les plus diverses, les dominos aux robes orientales, les costumes Louis XV et casanoviens aux crinolines et même aux toilettes les plus modernes.

Le groupe de beaux masques s’en va dans la nuit fraîche... Ce sont peut-être des Grieux et Manon, la belle M. M. et le chevalier de Seingalt ; l’une est toute en argent sous la dentelle noire ; l’autre porte un tricorne mauve et une robe à bouquets allant du mauve au bleu pendant que, le loup ôté, on voit s’alanguir la paupière également mauve ; un jeune homme porte un domino de dentelle d’or et l’autre un manteau rouge... lis s’en vont ainsi au Garon, restaurant espagnol de la rue Fontaine, où l’on aime se réunir aux sons d’un orchestre américain pour y résumer ses impressions. Ainsi, dans la nuit, leurs silhouettes se situent ; ils redeviennent des êtres humains sous des vêtements bizarres, alors que dans l’immensité du bal ils n’étaient tous que des costumes animés, des guignols dont le