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puissamment, inexorablement, vers cette foi dans l’art et dans la beauté qui rejoint les dieux... et Dieu.

Et la musique de Claude Debussy passe comme la brise et le souffle et le vent autour de l’architecture des mots, effeuille les fleurs mariées aux pierres, s’enroule, invisible, aux fûts élancés, bâtit des ogives aériennes, des arches de sons, des tours de nuées, des porches de rêve, et fait frémir les ailes angéliques des paradis chrétiens, au-dessus des lamentations païennes qui pleurent le bel Adonis.

Et cela est très beau.

O mort de Sébastien cloué au laurier noir ! Ainsi ne meurent-ils pas, tous ceux qu’une ferveur trop violente brûle ? Qu’on les nomme saints, martyrs, héros, amants, poètes, tous ceux-là qui meurent par amour de l’amour, extase de leur foi, pour que ce qui est beau soit encore plus beau ?

Ils meurent ainsi les insatiables ! Mais auparavant ils ont vécu tout hérissés de flèches, les flèches de l’incompréhension universelle. Plus heureux, Sébastien n’en est percé qu’à l’heure du suprême sacrifice. Heureux, trois fois heureux ! Il meurt le cœur plein de ciel, aimé par ceux qui le tuent, sous la bénédiction des arbres.


Ces noirs lauriers du martyr m’ont fait songer aux humbles troncs blessés des pinèdes gasconnes. J’ai revu soudain le golfe d’argent, la forêt pleurant sa résine, et la dune pâle, si pâle, comme le tombeau toujours mouvant des choses qui n’ont pas été, son sable de cendre que le vent tourmente, enlève ; et la plage du pays banal et malade si exactement décrit dans la Léda, la plage qui devenait belle avec ses méduses et ses coquilles, longeant la forêt jusqu’au Pilât, à partir de la maison du poète, la maison de Gabriele d’Annunzio.

J’ai revu les grands lévriers incurvés comme l’arc de Sébastien et rapides comme ses flèches ; et la maison paisible où le poète travaillait dans une pièce ressemblant au salon d’un bateau, et qu’ornaient alors toutes les photographies des saints Sébastien, peints ou sculptés par le génie des artistes divers.

J’ai revu la statue de saint Dominique, si sage au seuil, et qui ne le gardait plus quand le maître du logis n’était pas là

J’ai humé le parfum de la demeure ; j’ai revu les coussins