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IMPRESSIONS ET FANTAISIES


SAINT-SEBASTIEN

Admirable, en son armure d’or, Ida Rubinstein appuyée sur son grand arc, rêve, immobile. Elle a le génie de l’immobilité, de l’attitude définitive qui la fixe à jamais dans notre mémoire. La muette pureté de la ligne éveille chez le spectateur le plus indifférent le sentiment de la perfection, le désir de l’inaltérable ; c’est à ce sentiment, c’est à ce désir, que l’artiste a dû de subir parfois une plus grande sévérité critique, laquelle était en somme un hommage acéré, une flèche retournant à cet arc qu’elle avait elle-même tendu, en suscitant, par exemple, sous l’apparence de Sébastien, une ferveur d’art plus brûlante. Bel éphèbe habité déjà par la folie sacrée du martyre, harmonieux et flexible, long, tendu, la tête petite sous le casque et la chevelure bouclée, la hanche, la jambe et le pied dessinés par Mantegna dans ses compositions les plus vivantes, l’épaule étroite, le bras souple, le corps tout entier pressé, épousé par l’or doux et lumineux qui le vêt, l’illumine et le protège, il entre, inoubliable, dans le trésor de nos visions, de nos souvenirs, et de nos rêves.

Et le texte du grand d’Annunzio, texte aux beautés architecturales, élève ses colonnes enlacées d’un printemps de roses, redresse les ruines des temples pour en bâtir des églises, fait sourire ou se crisper les mots séculaires, comme les figures aux seuils des cathédrales ; texte savant et mystérieux, lourd de sens, d’allégories, de poésie et de symboles, en même temps païen et sacré, humain et divin, tout brûlant de cette flamme animatrice et dangereuse qui donne la vie et la dévore, il est tout tendu, sûrement,