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pour les saints : il est bon d’y croire : il ne faut pourtant pas qu’elles nous rendent injustes pour les hommes du nôtre. Vraisemblablement, les maréchaux de cette salle ont la taille des plus grands. Les problèmes qu’ils ont eu à résoudre, les effectifs à remuer, les incidences des événements économiques ou politiques à prévoir, dépassent infiniment à la fois en nombre et en grandeur ce que les maréchaux de l’Empire ont fait.

Or leurs portraits et leurs bustes ici rassemblés nous offrent tous le même trait : la gravité réfléchie plus marquée dans ceux du maréchal Fayolle et du maréchal Pétain, mais visibles chez tous les autres. Hors la tenue militaire, on pourrait presque tous les prendre pour des hommes de science. Et ils le sont en effet, beaucoup plus que leurs prédécesseurs. L’esprit méthodique et même mathématique reconnu aujourd’hui pour être un élément de l’esprit militaire, est chose relativement nouvelle dans l’armée. Deux choses ont dicté sa formation : la rareté des expériences et qu’elles coûtent trop cher. Il a donc fallu y substituer la déduction et la méthode. C’était là la conséquence non d’un a priori, mais de la nécessité et aussi bien les Moltke et les Roon avant 1866, que nos grands chefs avant 1914, avaient dû remplacer l’expérience de la guerre par sa prévision, ou, comme on l’a dit, l’école de la guerre par l’« école de guerre, » — besogne éminemment scientifique. De là et pour cela, une capacité et une activité cérébrales assurément plus vastes qu’autrefois et une rigueur mathématique fort ignorée jadis. Sans doute, à cela devait s’ajouter ce qui ne s’acquiert pas : l’autorité et le coup d’œil, le diagnostic, d’abord, l’inspiration après, la sûreté opératoire, enfin, et toujours le don du commandement et la connaissance des hommes, à quoi les guerres coloniales préparèrent admirablement plusieurs de nos grands chefs. Mais leur trait de dissemblance d’avec leurs aînés reste bien celui que leurs portraits révèlent à première vue au sortir de la salle des Lebœuf et des Canrobert : l’esprit méthodique et la prédominance de la pensée.

Jamais non plus, il n’y a eu, dans un tel ensemble de chefs d’armée, un tel désintéressement et une telle abnégation. Ce qui était l’exception, dans les salles à côté, ce qu’on citait chez un Canrobert est devenu, dans la dernière guerre, la règle, si commune et si établie qu’on ne songe même pas à la définir. On a dit : les prix de vertu ne sont gagnés que par ceux qui