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que la moraine de décombres qui marque la brèche de Constantine : de là sont sortis Saint-Arnaud, Mac Mahon, Canrobert, Niel, Lebœuf, c’est-à-dire les maréchaux de Napoléon III aussi bien que ceux de Louis-Philippe. Seulement, les uns ont trouvé en Afrique leur bâton de maréchal, les autres l’y ont seulement promené dans leur giberne, les premiers ayant été formés par les guerres du premier Empire, les autres devant conduire celles du second, sans cependant que la tradition exacte des aînés ait pu passer aux jeunes, le terrain où s’opérait la jonction étant trop différent de celui qui avait inspiré la stratégie napoléonienne. La seule tradition transmise était, avec la bravoure, le maniement des hommes. Cela ne change guère, parce que l’homme ne change pas, et le soldat français, sous le képi, comme sous’ la « ruche à miel, »« ou le bonnet d’ourson, » était le même. Quand en tête des Mémoires de Suchet, dès 1829, on écrivait ce signalement sincère et naïf : « Le soldat français se distingue des soldats du reste de l’Europe par une qualité brillante, que nul autre ne possède, au moins au même degré : il a de l’âme. Sa bravoure n’est point celle d’un automate : elle n’attend point l’impulsion des coups de bâton ou d’un verre d’eau-de-vie ; elle reçoit vivement l’influence morale de ses sentiments ; et si cette manière d’être a ses inconvénients dans les revers, elle est pour les chefs qui savent le conduire le plus sûr moyen de vaincre... » — on décrivait, là sans qu’il n’y ait rien à changer, le soldat resté tel, près d’un siècle plus tard, « le Poilu. »

C’est lui, c’est une statuette du Poilu par M. Landowsky qu’on voit tout d’abord dans la dernière salle, celle consacrée aux maréchaux de la dernière guerre et des dernières victoires. C’est la seule où figure le simple soldat à une place d’honneur. Et c’est justice : l’instinct des organisateurs de cette manifestation ne les a pas trompés. Non pas que le rôle des chefs, dans cette guerre, fût moindre qu’autrefois : il a été beaucoup plus grand. Jamais la bataille n’a été, autant que dans les dernières campagnes, la projection d’un cerveau sur une mappemonde ou au moins une planisphère, et comme aucun soldat, aucun chef et non pas même un aviateur n’a pu la voir de ses yeux, dans sa complexité et sa totalité, c’est seulement dans un cerveau qu’elle s’est représentée et, pour ainsi dire, « réalisée. » Il y a des légendes dorées pour les héros anciens comme