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sous sa direction à fabriquer les émulsions des vieux praticiens de 1830 : émulsions au collodion, émulsions à l’albumine ; ces préparations étaient loin d’avoir la sensibilité du gélatino-bromure : les premiers spectres qu’il obtint nécessitaient des poses de quatre heures. Enfin, il parvint à fabriquer des couches à l’albumine réunissant les conditions voulues. ! Après cinq années d’efforts, sa patience fut récompensée. Le 2 février 1891, — jour fameux dans les fastes de la science ! — il put présenter à l’Académie d’admirables photographies du spectre solaire. L’année suivante, il montrait les clichés de divers objets colorés : un vitrail, un groupe de drapeaux, un plat d’oranges, un perroquet empaillé que ses visiteurs se rappellent avoir vu bien souvent poser dans son laboratoire.

Restait à perfectionner l’orthochromatisme des plaques et à diminuer le temps de pose. Ces résultats furent obtenus grâce aux efforts de techniciens d’une rare habileté, les frères Lumière de Lyon : remplaçant l’albumine par le gélatino-bromure, ils obtinrent en moins de quatre minutes des portraits au soleil. Ils améliorèrent également la projection des images sur l’écran en plaçant sur la plaque un petit prisme d’angle très faible, qui élimine la lumière parasite. Grâce à ces progrès, on obtient couramment aujourd’hui, en moins d’une minute, des paysages, des reproductions de tableaux, des portraits et jusqu’à des photographies d’animaux.

Le grand savant réunit peu à peu une superbe collection de vues prises dans la forêt de Fontainebleau, les Alpes, les Pyrénées, sur les bords de la mer, à Venise, dans le Nord de l’Italie. Quand ces clichés sont projetés sur l’écran, l’illusion est saisissante : on y retrouve la qualité de la lumière et jusqu’à la transparence de l’air à la mer ou à la montagne.

La découverte de la photographie des couleurs excita dans le monde entier une sensation profonde. En 1896, (la Société Royale de Londres invitait Lippmann avenir lui exposer ses recherches. En 1908, l’Académie des Sciences de Suède lui décernait la célèbre récompense internationale : le prix Nobel de physique.

Une autre conception de Lippmann, qui montre d’une manière frappante son aptitude à sortir des sentiers battus, est celle de la photographie intégrale. Une épreuve photographique ordinaire ressemble à un dessin : elle ne donne de la réalité qu’une image unique et sans relief. Au contraire, quand nous