Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains si jolies et si blanches, elle me chantait, en courant, à la Malmaison, tandis que nous passions par la galerie pour nous rendre au théâtre, une des ravissantes canzone de Crescentini... » Légendaire aussi la grâce de la maréchale Murat, et si on l’évoque auprès de l’éblouissant portrait de son mari par Gérard ou du buste par Canova, on peut croire qu’on est en pleine mythologie et qu’il fut un temps où un royaume était donné à un jeune couple comme un prix de beauté.

Beaucoup de ces figures manquent ici. Du moins sont-elles fort bien représentées par l’une d’elles : le grand portrait en pied de la maréchale Lannes et de ses enfants, dû à Gérard, où l’on retrouve tous les caractères signalés par Mme du Cayla : « La maréchale Lannes, depuis duchesse de Montebello, joignait à une beauté peu commune, à une taille majestueuse, une dignité de cœur qui se répandait sur sa noble figure. Froide et peu communicative, elle acquit l’estime et la confiance de l’Empereur... » confirmée par la duchesse d’Abrantès, lorsqu’elle la cite parmi les trois femmes, pour qui Napoléon eut une admiration et une estime respectueuse qui ne se sont jamais démenties. Auprès d’elle, nous voyons son fils aîné Napoléon : « C’était, ajoute la même observatrice, un enfant beau et bon, sensible à un degré bien rare dans un âge aussi tendre : sa mère l’adorait. Elle remplissait tous ses devoirs maternels, non seulement avec exactitude, ce qui n’était que le commandement de la nature ; mais elle s’y donnait tout entière avec une abnégation d’elle-même fort méritoire dans une jeune femme aussi belle, aussi remarquablement belle qu’était Mme Lannes... »

Ce dernier trait nous édifie sur l’idéal féminin du premier Empire : la mode était, d’être « sensible, » ce qui nous rappelle que nous sommes bien entrés dans les temps modernes, La vie de famille pour la femme est, comme celle des camps pour le mari, l’idéal souhaité à la fois par l’opinion et par le maître, — ce qui nous éloigne fort de la Cour de Louis XV. Un petit tableau : le maréchal Mortier, gouverneur de la Silésie, reçoit sa famille à Breslau, le 29 mars 1808, rend à merveille le sentiment de l’époque : la berline de voyage s’est arrêtée dans le parc, la maréchale et ses enfants se précipitent vers le père, les bras se tendent, tout n’est qu’effusion et sensibilité. Devant cette scène attendrissante, telle qu’on aimait à se la figurer chez un héros, on éprouve combien doit être juste le tableau que nous