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le fagot. Légitimé, puis pourvu de quelque bien, notamment de Balagny, le jeune Jean de Montluc avait eu la chance de se voir pousser aux plus hauts emplois par sa famille, puis par sa femme, fille de Clermont d’Amboise, soigneur de Bussy et sœur du brave Bussy d’Amboise, personne déterminée à monter haut. Mais plus il montait, plus il apparaissait mince et vide. Gouverneur de Cambrai, puis ligueur, il s’était fait battre à Sentis et à Arques, misérablement. Mais elle avait cru épouser un héros : elle n’en voulait pas avoir le démenti. Elle alla trouver Henri IV à Dieppe en 1593, et lui arracha le bâton de maréchal pour son mari rallié, et qu’il resterait gouverneur de Cambrai.

Malheureusement, ce que toutes ses intrigues ne pouvaient faire, c’est de donner à ce mari l’âme d’un chef. Il s’y prit si mal qu’il se fit détester de tous, à commencer par l’évêque et par ses propres Suisses. Voici que les Espagnols menés par Fuentès assiégeant Cambrai avec les Flamands, quelques Suisses de Balagny se mutinèrent avec les habitants, firent des barricades et sur la grand place allèrent parlementer avec les assiégeants. Le maréchal restait coi ; c’est alors que la maréchale mit son grand chapeau, — nous aimons du moins à nous le figurer, — prit une pique et descendit parmi les capitulards, « employant toutes choses, disent les chroniqueurs, pour arrêter leur résolution. » Mais ces gens étaient bien trop heureux du prétexte que leur offrait la carence de leur gouverneur pour aller s’exposer sans lui. Ils ouvrirent les portes de la ville aux Espagnols et la citadelle investie capitula peu de jours après. Ce que voyant, disent les chroniqueurs, « la dame de Balagny s’enferma dans son cabinet et mourut de déplaisir. » Pensant que « c’était là quelque chose de moins fâcheux que de rentrer dans le néant, » elle « perdit la vie avant que d’avoir perdu le titre de princesse. » Ah ! Corneille peut venir : les modèles ne manqueront pas. Quant au mari, dont nous voyons tout auprès la piteuse figure, au crayon, de toute cette tragédie cornélienne, il ne retint qu’une chose, c’est qu’il était veuf : il se remaria.

De ces temps sombres et lointains, il faut venir jusqu’à l’aube du XIXe siècle, pour trouver, ici, de beaux portraits de maréchales. Ce n’est pas que les femmes aient cessé de remplir un rôle dans notre histoire militaire et, depuis Diane de Poitiers jusqu’à Mme de Pompadour, on aurait fort à faire si on voulait évoquer toutes celles qui ont joué à la guerre, ou au moins à la