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Une chose au contraire triste d’ordinaire, n’est pas triste alors : la guerre, terrible, parfois à la manière d’un ouragan dévastateur, mais féconde, faisant surgir derrière elle des nationalités, des constitutions, des libertés, ces mille chimères qui enchantent les hommes, remuant le sol européen, en quinze ans, comme les guerres lentes, prudentes, économiques et calculées, avec leurs quartiers d’hiver, de l’Ancien Régime, ne l’avaient pas fait en un siècle et demi, ouvrant, au moindre signe de ces bâtons, les portes des capitales, montrant les plumes frisées de ces grands chapeaux à des foules lointaines, si bien que le seul nom qui eût pénétré au XIXe siècle dans les déserts de sables ou de glaces, au dire des explorateurs, était celui de Napoléon. La plupart des reliques exposées ici dans les vitrines, ces portefeuilles, ces nécessaires, ont fait le tour du monde civilisé à cette époque et cela leur confère un singulier prestige. On dit que le Français ne voyage pas : le Français désarmé, c’est vrai, mais nul peuple en armes n’a tant couru le monde. Il n’apprend la géographie que le drapeau à la main. Et s’il n’en a rien rapporté, s’il n’y a même pas observé grand’chose, il y a laissé une trace qui, aujourd’hui encore, éblouit l’Étranger, et bien à tort cette fois, l’inquiète et l’émeut.

Un des souvenirs les plus cuisants laissés ainsi dans les pays conquis par ces gens aux grands chapeaux, est la rafle qu’ils firent de milliers d’œuvres d’art et la dévastation de quelques autres. L’idée n’était point d’eux pourtant : c’était une idée de civils et de professeurs, et elle n’est même point de l’Empire : la Convention en avait ainsi ordonné, afin, disait-on alors, que les chefs-d’œuvre ne fussent plus « souillés par l’aspect de la servitude. » Les maréchaux n’étaient, dans ces actes réprouvés par notre conscience contemporaine, que des agents d’exécution. Toutefois, si on leur avait dit qu’un jour viendrait où la raison invoquée pour les mobiliser et les réunir dans ce palais de la Légion d’honneur serait d’aider à la « Sauvegarde de l’Art français, » on les aurait bien étonnés ! Voilà certes la dernière chose dont ils se préoccupaient durant leurs campagnes ! Les lamentations de Paul-Louis Courier et du général Lejeune sur le vandalisme de leurs troupes ont retenti jusqu’à nous. Pourtant on en pourrait citer, çà et là qui s’arrêtaient à considérer une statue ou un tableau entre deux batailles. Il pouvait même