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œuvres, on ne peut rien citer qui les mit en lumière. Tandis qu’à côté c’est à peine si quelques-uns pouvaient ajouter quelque gloire à leur nom. Là-bas, plus d’un membre d’une famille autrefois souveraine n’est plus qu’un simple maréchal : ici plus d’un simple maréchal deviendra le chef d’une famille souveraine. Pourtant le mot : « Nous sommes des ancêtres, » est la plus imprudente des prétentions humaines. On peut jusqu’à un certain point être sûr d’être un « descendant, » on ne l’est jamais d’être un « ancêtre, » et, en fait, -de cette magnifique cohorte d’hommes jeunes, vigoureux, téméraires, coiffés de grands chapeaux à plumes, qui ont tenu le bâton aux abeilles ou aux aigles d’or, bien peu ont laissé, au bout d’un siècle, une postérité. « Nous sommes des météores, » voilà le mot qu’il leur fallait dire, encore moins modeste, mais combien plus vrai ! Car depuis les chevaliers du roi Arthur, égaux autour de la Table Ronde, où a-t-on vu un tel faisceau de héros si splendides, coulés ou plutôt refondus dans le même moule, vêtus du même harnais de guerre, l’épée bien en main, toujours prêts à partir dans toutes les directions poursuivre des « feux errants ? » On retrouve en eux tous les types de guerriers légendaires : Lancelot, Gauvain, Ivain, Keu, Perceval, Galahad. Modred, avec leurs traits bien différenciés, car rien n’est plus dissemblable d’un Murat qu’un Marmont, d’un Ney qu’un Masséna ou un Soult, et c’est encore un autre type que Lannes et un autre que Davoust, sans parler du grand oublié ici, — le sage de la Grande Armée, — Drouot. Mais il y a un trait commun qui les unit et qui les sépare de leurs prédécesseurs : ce sont uniquement des hommes de guerre, pas des diplomates, pas des courtisans, pas des grands seigneurs sur leurs terres. Leurs duchés et leurs principautés sont des grades, et si, par hasard, ils donnent une chasse, comme Berthier à Gros-Bois, c’est une charge entre deux autres, ou une réception, c’est en « service commandé. » Sous Louis XV, une bataille avait les allures d’un bal ; ici, un bal a l’allure disciplinée et brusque d’une bataille. On est chez des professionnels et qui se vantent de l’être, les sabres toujours prêts à jaillir du fourreau. L’héroïsme y est tendu et dur ; la gloire austère, lourde, en bronze qui monte et tournoie vers le ciel, écrase tout. Et si une belle dame se plaint que la cour soit triste, le maître répond satisfait : « Oui, comme la grandeur. »