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garde à l’art déployé par le compositeur, — ce que le commandant Rousset appelait jadis d’un mot juste et profond : « l’Esthétique de Napoléon, » ni qu’ils sont les touches d’un clavier dont il joue avec une incomparable maestria, — ne parlant pas à Murat comme il parle à Soult ou à Suchet, ne demandant pas à Berthier ce qu’il exige de Davoust.

Ce ne sont donc pas tous des hommes supérieurs, mais le maître qui est là caché dans la tapisserie, n’a pas besoin d’hommes supérieurs. Il en a moins besoin, en toute hypothèse, qu’un roi de Versailles. Il ne compte nullement sur leurs conceptions pour sauver le pays. — « Vous avez manœuvré comme une huître ! » dit-il un soir de bataille à un de ses généraux stupéfait et consterné, — et une heure après, il lui remet le bâton de maréchal. C’est du moins ce que chuchote, alors, la chronique et, si elle exagère ou s’amuse, elle peint pourtant bien l’esprit du régime. Le chef ainsi récompensé n’avait assurément pas manœuvré comme une huître, mais il avait peut-être mal compris ce qu’il faisait et peu importait à l’Empereur : il pouvait servir, pourvu qu’il fût docile et actif. Ce ne sont donc que des instruments, mais ce sont d’admirables instruments, des ressorts d’acier, souples et toujours prêts à jouer, — à « taper tous ensemble, » selon la formule qui eut tant de crédit depuis dans notre jeune armée. « Tous ensemble comme un seul homme, au bon endroit et au bon moment. »

Et, par là même, ce sont des « professionnels » et fiers de l’être, au contraire des maréchaux de la Rotonde, souvent illustres en dehors de leur métier. C’est aussi une autre alluvion sociale, ceux qui ont dit : « Nous sommes des ancêtres ! » Malgré quelques exceptions illustres, comme Pérignon, Grouchy, ou Soult, qui auraient pu atteindre un grade élevé sous l’Ancien Régime, de même que sans doute Fabert, fils de l’imprimeur juré de Metz, ou Vauban « né le plus pauvre gentilhomme de France » eussent été tolérés dans les armées de la Révolution, si l’on considère l’ensemble des maréchaux de l’Empire, ils apparaissent bien comme les « fils de leurs œuvres » et les pères de leurs noms. Ce n’est pas que leurs œuvres soient supérieures à celles des voisins, ni leurs figures plus individualisées. On trouverait malaisément en eux l’étoffe de Fabert, de Turenne, de Catinat, de Vauban, de Maurice de Saxe, ou, s’ils en avaient l’étoffe, on n’en a pas vu la façon. Mais c’est qu’avant leurs