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photographique, ces multiples lamelles d’argent métallique, il suffit d’adosser cette émulsion à un miroir. Les ondes incidentes et les ondes réfléchies engendrent des ondes stationnaires dont l’écart correspond précisément à leur couleur. Si l’on développe la plaque, il se forme au sein même de la courbe sensible des milliers de couches équidistantes d’argent métallique, écartées les unes des autres de quelques dix-millièmes de millimètre. Le phénomène est réversible. Éclairée par la lumière ordinaire, la plaque renvoie à l’œil les rayons mêmes qui l’ont impressionnée. La plaque photographique joue vis-à-vis des vibrations lumineuses le rôle de la membrane du phonographe vis-à-vis des vibrations sonores. L’origine des couleurs est donc une illusion physique. Elles ont l’éclat métallique et changeant des bulles de savon ou des lamelles de la nacre. Leur teinte varie avec l’incidence sous laquelle on les regarde, mais on obtient des images magnifiques en les projetant sur un écran.

Telle est l’idée mère. A un physicien, elle paraît fort simple. Lippmann pourtant n’arriva au but qu’après cinq années de tâtonnements. Sûr de lui, il recommençait ses expériences sans jamais se décourager. Grande leçon de patience !

En vue d’obtenir la surface réfléchissante, il appliqua d’abord l’émulsion sur une plaque d’argent poli, puis sur une plaque de platine, revenant ainsi, bien que dans un dessein différent, aux anciens procédés de Niepce et de Daguerre. Enfin il pensa à adosser l’émulsion à une couche mince de mercure. C’était la solution à la fois la meilleure et la plus simple : comme il arrive souvent, ce fut la dernière trouvée.

Mais ces difficultés ne furent rien à côté de celles auxquelles il se heurta quand il chercha à former, à l’intérieur de la couche sensible, à raison de plusieurs milliers par millimètre, les minces pellicules réfléchissantes d’argent réduit, exigées par la théorie. La première condition pour y arriver était d’obtenir une émulsion transparente, homogène et sans grains. Des grains d’un millième de millimètre d’épaisseur seulement eussent rendu la recherche sans espoir. Aucune des émulsions qui existaient dans le commerce ne satisfaisait à ces conditions. Lippmann se remit à l’école ; il fit venir le Nestor des photographes, le président de la Société française de Photographie, Davanne, le vieux compagnon de la vingtième année de mon père, d’Aimé Girard et de Louis Ménard. Il apprit patiemment