Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quatre épingles, il faut qu’il soit peint cheveux au vent pour plaire aux imaginations. Suchet, dont un contemporain nous dit : « Il était d’une figure noble et douce, ses yeux étaient pleins de bonté et sa physionomie exprimait les sentiments bienveillants dont son âme était pleine, » nous est montré par Robert Lefebvre, hautain et dur, nous intimant du bout de son gant crispin, on ne sait quel ordre péremptoire. Le bâton promené par les maréchaux de Louis XV au-dessus de la bataille, comme une baguette évocatrice, est devenu un sabre dont Murat enlève ses escadrons en hurlant des gauloiseries énormes, dont Lefebvre cogne au beau milieu de la cohue du pont de Montereau en 1814. « L’écume sortait de la bouche du maréchal, tellement il frappait ! » dit le capitaine Coignet. La victoire est une chose qu’on enlève au galop de charge et veut être violentée.

Que nous sommes loin du jour où Maurice de Saxe, en ses Rêveries, disait : « Je ne suis point pour les batailles, surtout au commencement de la guerre et je suis persuadé qu’un habile général pourrait la faire toute sa vie sans s’y voir obligé. Rien ne réduit tant l’ennemi que cette méthode et n’avance plus les affaires. Il faut donner de fréquents combats et fondre pour ainsi dire l’ennemi petit à petit. » — Petit à petit !... Allez donc dire cela aux Murat, aux Ney, aux Lannes, aux Lefebvre... Les grands chapeaux à plumes n’abritent pas de telles pensées. D’ailleurs, on peut douter qu’ils abritent beaucoup de pensées. Il n‘y a pas, ici, de fronts comparables à ceux de Fabert, de Turenne, de Vauban, de Maurice de Saxe. Pas de têtes pensives, ni de têtes raisonneuses, ni de têtes calculatrices : rien que des bras. La tête n’est pas loin, mais elle est unique et elle suffit à animer tous ces prompts et terribles agents d’exécution. Heureux ou malheureux, applaudis ou sifflés, les maréchaux de l’Ancien Régime étaient les auteurs du scénario qu’ils jouaient. Ceux de l’Empire sont les figurants ou les virtuoses d’une action que, pour la plupart, ils ne comprennent guère, ou dont ils ne voient que le détail tactique, enveloppés qu’ils sont dans le mystère d’une stratégie souveraine, — lorsque d’autres, à l’est du Rhin, d’un œil plus scrutateur, allumé par la haine, regardent et méritent qu’un jour, à la fin de ses campagnes, Napoléon dise d’eux : « Ces animaux ont appris quelque chose !... » Tout le temps que dure l’entraînante épopée, on ne fait attention qu’à la symphonie jouée par ces hommes sans prendre