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d’Horace Vernet avec le Gramont duc de Lesparre de Rigaud. Plus de fantaisie, ni dans les gestes, ni dans les mots, ni dans les cravates. Tous à peu près le même chapeau, — le chapeau que Napoléon, homme tourné vers l’avenir, a pris au grand Frédéric, mais a rebâti à sa guise, comme il a rebâti et transformé sa tactique. Les maréchaux ont trouvé leur maitre. Celui qui les nomme et qui juge de leurs coups est celui qui le mieux pourrait les porter. Plus d’intrigues, plus de cabales, pas de puissantes familles, de favorites protectrices, pas de ressorts secrets et compliqués, plus d’antichambres. Tous les bâtons brodés d’abeilles ou d’aigles qui s’agitent pour le serment dans la Distribution des Aigles de David, semblent avoir poussé au bout des bras, sur un signe du Démiurge tout-puissant. Regardez ce Murat, de Gérard, doré sur toutes les coutures, la bouche épanouie, offerte, la tignasse noire bouclée en copeaux, irradiant par l’éclair des yeux, le teint et la protrusion des lèvres, la confiance et la vie. Ce Bernadotte, aigle tout en bec et en rostres, prêt à fondre sur un royaume, il ne sait pas encore dans quel climat, où, quand, ni comment ; mais il le cherche d’un œil aigu. Le profil aigu aussi et l’œil en vrille, de Masséna. Regardez surtout, dans les bustes, le défi de ces nez en l’air de Ney, de Macdonald, les mentons volontaires, les pommettes saillantes : voilà bien les portraits qui se livrent, tout à fait incapables ou dédaigneux de rien cacher ! Chez tous vous trouvez le même masque d’énergie, d’audace même provocatrice, de vigueur impatiente de se dépenser.

Le sabreur est devenu tellement l’idéal du soldat que Berthier, le porte-plume de Napoléon, par force et par goût le plus grand paperassier de l’armée, comment se fait-il peindre ? C’est en tranche-montagne, fauchant l’air d’un coutelas plus grand que lui, dont son geste annonce qu’il va hacher menu un pont en flammes... Assurément, il y était à ce pont de Lodi, il y était avec Masséna, général comme lui et Lannes, alors chef de brigade, et il y faisait chaud quand l’artillerie de Sabottendorff en balayait les planches et la surface de l’Adda, — mais l’ensemble de sa glorieuse carrière le montre en tout autre posture, et c’est celle-là qu’on a retenue, parce que seule, elle répond à l’idée qu’on se fait alors du chef. Et cet homme si correct, si réservé, qui ne se présenta jamais à l’Empereur, quels que fussent l’heure, le lieu, la tragédie, qu’en grande tenue, tiré à