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reconnaitraient guère leurs successeurs ! Les Biron, les Montmorency, les Marillac sont bien morts. Les fraises étaient une auréole, selon le mot du poète et ce sont les perruques qui sont des carcans.

Ne disons pas pour cela qu’il n’y a plus d’aussi fortes individualités. Elles sont tout aussi fortes, mais la communauté est moins faible. La France est plus grande : on sent mieux l’orgueil collectif d’appartenir à une grande nation, ou plutôt, comme on disait alors, à un grand Roi. Le loyalisme ne fait plus question. C’est une sorte de culte qui aura même ses superstitions le jour où, la France et le Roi se séparant, le devoir aura deux faces et qu’il faudra choisir. Si un maréchal de France porte encore sa tête sur l’échafaud, ce jour-là ce ne sera plus pour crime de trahison, mais de fidélité. C’est pour le Roi que Philippe de Noailles, duc de Mouchy, sera guillotiné en 1794, avec sa femme surnommée par Marie-Antoinette Mme l’Étiquette. On pourra croire alors que l’Etiquette elle-même comme le Maréchalat est abolie à jamais. Il le croyait bien, le dernier des maréchaux restés en France, le vieux Philippe de Ségur, le jour où il fut mandé aux Tuileries, par un jeune homme, premier magistrat de la République niveleuse qui avait supprimé cette supériorité comme les autres. Aussi quelle ne fut pas sa surprise, au sortir de l’audience, lorsqu’il vit la garde consulaire assemblée en hâte, lui rendre les honneurs réservés aux seuls maréchaux de France ! Les tambours battaient aux champs, les troupes présentaient les armes. Il eut comme un éblouissement, un vertige, n’en croyant pas ses yeux, ni ses oreilles. Sa surprise eût été bien plus grande, s’il avait pu prévoir ce que nous voyons en faisant un pas, en franchissant une porte : les nouveaux porteurs de bâtons, plus nombreux encore et environnés de plus de prestige qu’aux beaux jours de sa jeunesse et de la monarchie...


II. — LES GRANDS CHAPEAUX

Il est vrai qu’ils sont bien changés. Dès l’entrée dans la salle de l’Empire, on voit aux portraits quelque chose de serré, de discipliné, de guindé presque, dans leurs hautes cravates noires et leurs tuniques boulonnées, des Gérard et des Robert Lefèvre, après la libre allure et la majestueuse aisance des Largillière et des Rigaud. Comparez le Grouchy de Dubufe ou le Suchet