Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le génie ordonnateur du grand Roi trouve pourtant à utiliser, au mieux, dans la façade auguste et rectiligne de son règne.

Voulons-nous voir, enfin, entre la caricature et la transfiguration idéale, son image réelle : penchons-nous sur la vitrine où est ouvert un album relatant ses campagnes dans les Flandres, à la page où on le voit à cheval, avec ses officiers généraux, donnant ses ordres, devant une ville à conquérir, ou conquise... Nu-tête, accroché à sa bête, comme un singe, il gesticule comme le jour après Fleurus où il disait pour expliquer sa victoire, en frappant sa bosse : « C’est que j’avais, là, un corps de quarante mille hommes de réserve que l’ennemi ne connaissait pas. » Cette gouache minuscule est peut-être l’image la plus proche de la vérité.

Ce qui étonne le plus, dans cette Rotonde, c’est de voir de solides têtes de penseur, de savant, l’œil incisif, subissant docilement le supplice de la haute perruque in-folio, la plus formidable incommodité dont se soient avisés les hommes, — depuis Gigalmès ou Assourbanipal, — pour se distinguer du commun. Puisque nous sommes entourés de tant de perruques, profitons-en pour les interroger. Nous verrons qu’elles marquent le triomphe le plus éclatant de la discipline et de la sociabilité. Comme toutes les monstruosités de la mode, celle-là n’est pas née d’un coup, ni n’a disparu d’un coup. Elle a suivi le processus ordinaire de tout artifice de toilette : on l’imagine un jour, par fantaisie ou pour une occasionnelle utilité, et on l’adopte pour se distinguer de ses pères, puis pour se distinguer des premiers inventeurs, on exagère ce qui a paru beau, séduisant, chaque génération cherchant à mettre sa marque aux choses qu’elle hérite de la précédente et voulant se signaler sans revenir en arrière ; on va ainsi peu à peu aux dernières limites de l’incommodité, et une fois qu’on y est, on y reste, parce que, à ce moment, une longue éducation étant requise pour s’en accommoder, on se met à juger un homme de qualité par l’aisance et la grâce avec lesquelles il endure la torture établie. Dos lors, elle est presque indéracinable, parce qu’il s’y attache une idée de supériorité sociale. Aussi ne cède-t-elle pas d’un seul coup à l’assaut du bon sens, mais après une suite de secousses, et la dernière est la plus douloureuse.

Ainsi de la perruque. Elle commence par être naturelle,