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moins une province en dehors ou à côté du Roi et de son ministre. Mais ce sont encore des diplomates. Dans la partie qu’ils livrent, pour le compte du Roi, ils jouent pique ou cœur, la guerre ou la paix, alternativement, selon l’occurrence et selon les ordres de Versailles. Un singulier exemple nous en est donné ici par un tableau de Gaspard Netscher, à première vue inintelligible. Que fait, là, cet homme déshabillé, affaissé contre une table et dont un docteur en robe noire et bonnet carré tâte le pouls ? Est-ce un malade ? Vient-on de l’ausculter ? Et cet avorton en habit rouge, debout appuyé sur la table qui lui fait la leçon, le doigt en l’air ? Est-ce un médecin ? El tout ce monde, pourquoi est-il rassemblé ? Pour une consultation ?

C’est bien quelque chose de ce genre, mais pris au sens allégorique. Vers 1672, en effet, l’année où fut peint ce tableau, la Hollande jouait en Europe le rôle de « l’homme malade » et les médecins étaient les rois d’Angleterre, d’Espagne, de France et de Suède. Ici, c’est le maréchal de Luxembourg qui les représente, parle, dicte les conditions de la France à la Hollande représentée par le grand pensionnaire Jean de Witt. Le pauvre diable est dépouillé de son armure et même de ses habits, — ce qui n’est pas une exagération quand on se rappelle ce mot de Luxembourg à Louvois, en parlant d’un notable d’Utrecht : « Quand on le soulagera de ce qui le charge jusqu’à sa chemise, je comprends que vous n’y trouverez nullement à redire. » Il est entouré d’autres médecins tout aussi malveillants ; celui qui lui tâte le pouls est Galen, l’évoque de Munster, impitoyable condottiere mitré, sorte de Jules II déchaîné dans le grand siècle, allié de la France pour l’instant, fort satisfait de trouver le Grand Pensionnaire en état si débile. Cet autre est l’électeur de Cologne, allié aussi des Français, qui le regarde périr avec complaisance. Celui qui tient un sablier pour mesurer ce qui lui reste de minutes à vivre est de Groot, l’ambassadeur des Etats généraux de Hollande, qui est venu offrir presque toute la Hollande au Roi de France et qui se voit refuser la paix. Au second plan, deux femmes, allégories de l’Eglise catholique et de la protestante, nous rappellent ces mots de la Gazette de France : « Partout où l’on plante des fleurs de lys, on replante en même temps l’étendard de la Religion, en rebénissant les églises des villes conquises. » La catholique cherche à toucher de son crucifix, Jean de Witt, pour le convertir ;