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faire commettre de grandes fautes... » Ou encore : « Si la guerre tient de l’inspiration, il ne faut pas troubler le devin ! » — aphorismes que ne désavouerait aucun chef d’armée, sous une forme qui ferait honneur à n’importe quel humoriste. Le vainqueur de Fontenoy peut parler d’inspiration. Son œuvre militaire en est pleine, et sa victoire semble composée, selon toutes les règles, pour entretenir et accroître l’émotion, jusqu’à la péripétie finale qui doit amener l’heureux dénouement. S’il est vrai, selon le mot de Napoléon, que « les Français soient toujours au spectacle, » et qu’il leur faille ainsi une victoire clairement dessinée, Maurice de Saxe a eu la chance de leur donner la plus parfaite tragédie guerrière qu’on ait jouée depuis longtemps, et qu’on dût jouer jusqu’à Napoléon.

Après cela, si sa vie privée est moins glorieuse et répond à ce que nous annoncent les traits inférieurs de son masque, c’est peut-être Grimm qui en donne la vraie raison lorsqu’il dit : « Le comte de Saxe aimait la mauvaise compagnie, en femmes et même en hommes par choix et par hauteur. Il ne se serait pas trouvé déplacé sur un trône, et avec une âme de cette trempe, on ne se trouve bien ni dans les antichambres de Versailles, ni dans les soupers de Paris où l’égalité préside. » « Pas trouvé déplacé sur un trône... » Qu’est-ce à dire ? Retournons voir les portraits de Liotard : le bâton que tient le maréchal est long comme un sceptre, en effet, et il s’y appuie comme s’il voulait prendre possession de la terre où il va l’enfoncer. Mais cette terre, quelle est-elle ? Est-ce la Pologne où son père était roi ? Est-ce la Courlande dont il est élu duc ? Est-ce l’ile de Tabago ? Est-ce la Corse ? Est-ce le royaume juif qu’il veut reconstituer en Amérique ? Est-ce Madagascar ? Car toutes ces ambitions et toutes ces chimères passent sous ce front que Liotard nous montre si uni, et Lemoyne si tourmenté... Indépendance des Etats-Unis, Sionisme, avènement de la grande île africaine à la civilisation, tout cela qui est du passé ou du possible aujourd’hui, si Maurice de Saxe revenait et le voyait réalisé par ses successeurs, les Rochambeau, les Gallieni, les Lyautey, il le trouverait fort naturel, et peut-être encore bien en deçà de ses visions des jours de fièvre, consignées en ses Rêveries...

Toutefois, il ne faut pas que son exemple nous trompe. Dès longtemps, les maréchaux ne sont plus des prétendants au pouvoir, des hommes d’Etat cherchant à régenter la France ou au