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misères publiques. C’est, cinquante ans plus tôt, un avant-goût de la Dixme royale, — cet autre projet de révolution fiscale, né sous la perruque in-folio d’un autre maréchal, — celui-là même à qui l’on doit tout le système de fortifications qui ferma la route de Paris aux Teutons, clausa Germanis Gallia, selon l’exergue de sa médaille : Vauban. Il faut interroger, ici, le dessin en crayons de couleur qui nous restitue la physionomie soucieuse de ce grand architecte de guerre et d’économie politique. Même expression, ou peu s’en faut, dans le masque de Turenne par Le Brun. On y saisit, au vif, le système de préparation usité alors par Poussin et quelques autres maîtres, afin de réchauffer leur coloris : la toile est peinte en rouge tragique, par là-dessus on fait des frottis gris parfois verts, et cela donne un ton de chair assez conventionnel, mais solide et qui paraissait « historique. » L’essentiel est qu’on y démêle bien les caractéristiques de l’homme, et ici, elles sont fortement marquées. C’est la tête solide et pleine, « bien faicte » au sens de Montaigne, qu’il fallait au plus grand tacticien du siècle, un des plus grands de tous les siècles, celui qui alla tout droit aux réalités de la guerre, sans s’inquiéter de ses conventions tacites, qui commença par apprendre à très bien la faire comme on la faisait de son temps et puis qui la fit tout autrement : — naturel processus chez le grand chef comme chez le grand artiste, — discipliné d’abord pour innover ensuite, l’homme qui eut toutes les sagesses, jusqu’à celle de désobéir, et d’écrire à Louvois : « Je prends tout sur moi... Je connais la force des troupes impériales, les généraux qui les commandent, le pays où je suis... » qui, en un mot, ne se trompa guère qu’une fois, le jour où il dit, c’était le 27 juillet 4675, à Salzbach, en parlant des ennemis : « Je les tiens... ils ne pourront plus m’échapper ! » Le petit boulet qu’on voit sous cette vitrine pouvait seul donner un démenti au grand génie militaire, étant l’ultima ratio, comme on lisait alors sur les canons historiés qui ne se contentaient pas de tuer les gens, mais leur offraient, par surcroît, des leçons de philosophie.

A l’autre bout de cette salle, deux portraits identiques, dont l’un au pastel, par Liotard, un crayon de La Tour, et trois bustes de marbre, l’un par Mouchy, l’autre par Pigalle, dit-on, le troisième par Lemoyne, nous mettent en présence du maréchal de Saxe, « le Turenne du siècle de Louis XV, » disait le