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mettent à la fenêtre de leurs propres perruques pour nous regarder. Le plus ignorant des visiteurs ne s’y trompe pas. Demandez-lui de vous designer les penseurs qui sont dans cette Rotonde ou à côté, c’est-à-dire ceux dont la carrière n’a fini qu’en plein règne de Louis XIV : — sans la moindre hésitation, il ira vers un portrait à l’huile, vers une préparation à l’huile de Le Brun, un dessin aux trois crayons du même Le Brun, un buste de Lemoyne. Approchez-vous, lisez les noms : c’est Fabert, Turenne, Catinat, Vauban, Maurice de Saxe, c’est-à-dire, les philosophes et les prophètes, ceux qui ont vu l’homme dans le soldat, la nation dans l’armée et confusément l’avenir changeant dans le présent en apparence immobile. Les autres semblent d’aimables improvisateurs : ceux-ci, réfléchis, attentifs, le front parfois souligné d’un pli dur, sans avoir rien de secret, ni qui se garde, comme leurs aînés de la Renaissance, tout en nous envisageant et même en nous dévisageant franchement, méritent le surnom que les soldats avaient donné à l’un d’eux. Catinat : « le Père la pensée. »

Regardez le portrait de Fabert, vous y reconnaissez l’homme que son biographe le plus sûr nous dépeint ainsi : « plus maigre que gras, le teint brun, un peu couperosé, le front grand, élevé, les yeux vifs et perçants, le nez aquilin ; il marchait la tête haute, conservant un air grave et sévère ; sa parole était ferme et hardie ; il s’expliquait en peu de mots, ne sortant jamais de son sujet. » Et le trait suivant désigne plutôt un esprit formé par les disciplines du XVIe siècle qu’un contemporain de Louis XIV : « Il négligeait cette politesse superficielle dont le monde se contente et qui recouvre souvent une grande barbarie ; mais sa probité, sa grandeur d’âme, sa religion lui composaient une autre politesse plus rare qui était toute dans le cœur. » Et cet homme grave, qui rappelle les humanistes de la Renaissance, est fort en avance sur le XVIIe siècle, quand il s’inquiète des moyens de faire vivre les troupes sans ruiner l’Etat et l’Etat sans ruiner les peuples, dont la misère entraine celle de tout le reste. C’est déjà presque un homme de 89, qui par le lorsqu’il réclame, en plein règne de Mazarin, la taille réelle et le cadastre et fait des plans pour supprimer les intermédiaires, grugeurs des deniers publics. Il y a sous cette perruque à calotte, une tête d’homme d’Etat et d’un Etat nouveau, — et sous ce col garni de point Colbert bat un cœur sensible aux