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Ne dirait-on pas d’une lutte d’élégance ou de politesse, où l’on ne risque rien qu’un bon mot ?

En fait, à aucune époque, le chef ne paie plus de sa personne, non pas même Montmorency quand il mène la charge à Dreux, ni Ney, quand il prend un fusil pour protéger la retraite de Russie. D’Harcourt a la jambe cassée au siège de Philippsbourg, Villars est blessé d’une balle à Malplaquet, Luxembourg a son habit brûlé par des éclats de grenade devant Valenciennes, Maurice de Saxe « mourant à Fontenoy, » malade à Raucoux ne se jette pas moins au milieu de la bataille. Gramont est tué à Fontenoy. Ce sont les dignes élèves et émules de Guébriant tué à Rotweil, de Turenne tué à Salzbach, de Fabert tombant la cuisse traversée de deux balles à l’attaque de Turin, de Rantzau, qui, lorsqu’il succombe au siège d’Arras, a déjà perdu un œil dans une affaire, une jambe dans l’autre, une main dans une troisième, monte à cheval, une jambe de bois à l’étrier, un emplâtre sur la figure, la bride passée au poignet, et découvre soixante blessures au chirurgien en expirant. C’est sur les corps de ses maréchaux emperruqués, poudrés et pomponnés que passe la France pour joindre la victoire. Leur nonchalance n’est qu’une coquetterie dont se pare leur bravoure et chez eux la dure volonté de tenir et de vaincre perce au travers des préciosités et des politesses, comme l’acier de la cuirasse, sous la dentelle de Venise ou le « point Colbert. »

Le portrait qui exprime le mieux tout cela ici est celui du maréchal d’Harcourt par Rigaud. Ressemble-t-il à son modèle ? Nous ne savons. Mais il ressemble à sa vie, toute en gestes aimables, en déploiements majestueux, en succès retentissants. Sa seule disgrâce se place au début de sa carrière, au siège de Philippsbourg ; comme il vient d’emporter un ouvrage, l’épée à la main, et va commander l’assaut de la place, il est renversé dans la tranchée par une poussée d’hommes, en a la cuisse démise et reste toute sa vie, comme l’a été Biron, boiteux. Moyennant ce tribut, il apaise la jalousie du destin, qui lui octroiera, dès lors, cette curieuse faveur d’être toujours là au dernier moment des heureuses entreprises, qui est le bon. C’est lui qui, à Turckheim, amène un corps de réserve, prévenant le désir de Turenne, qui l’allait demander. C’est lui qui, le 29 juillet 1693, à trois heures de l’après-midi, marchant au canon, débouche sur le champ de bataille de Nervinde, disputé