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à leur goût : aussi a-t-on glissé trente-cinq hautbois parmi les tambours et les trompettes Des chœurs d’hommes et de femmes chantent les airs des ballets de Psyché... Cela, il est vrai, n’est arrivé qu’une fois, au beau temps de Luxembourg, mais il y a des choses faites une seule fois qui marquent de leur empreinte toute une époque : les imaginations étaient en fusion au moment où le fait est tombé sur elles, les a frappées et en voilà pour toujours. Pour tout l’Ancien Régime, la politesse et le raffinement de Versailles restent l’idéal aux armées. Encore sous le maréchal de Saxe, la guerre se résume dans un becquet aux couplets d’opéra-comique que Mme Favart chante devant MM. les officiers du roi :


Demain, bataille ! jour de gloire !
Que dans les fastes de l’histoire
Triomphe encor le nom français !


suivis de cette explication du régisseur : « Demain, messieurs, relâche à cause de la bataille. — Après-demain, nous aurons l’honneur de vous donner le Coq de village. » Entre les deux, une tuerie, une victoire : Raucoux. Quoi, Raucoux ? Une représentation supplémentaire donnée par une autre troupe, celle des « Troupiers. »

Ainsi, d’un bout à l’autre de cette Rotonde, les maréchaux semblent s’efforcer de mériter l’éloge que Racine écrivant à Boileau fait du maréchal de Luxembourg : « Il est encore plus à ses amis et plus aimable à la tête de sa formidable armée qu’il n’est à Paris et à Versailles. » Quand la fête est finie et les lampions éteints, on feint de n’avoir pris que la peine d’y songer. « Pour moi. Sire, écrit-il à Louis XIV, au soir de Nervinde, je n’ai d’autre mérite que d’avoir exécuté vos ordres. Vous m’avez dit d’attaquer une ville et de donner une bataille. J’ai pris l’une et j’ai gagné l’autre. » Jamais n’a été poussée si loin la coquetterie de l’amateur, la crainte d’être pris pour un professionnel. D’ailleurs, tout se passe entre gens de bonne compagnie, entre parents et amis quelquefois. A ce même Nervinde, Berwick, le futur maréchal, se trouve emporté en plein dans les lignes ennemies. Il ôte sa cocarde blanche et va s’échapper en se faisant passer pour un Anglais grâce à son accent, lorsqu’il tombe sur son oncle, le futur duc de Marlborough, qui le reconnaît et qui, tout en l’embrassant, le fait prisonnier...